samedi 6 novembre 2010

Fragment appendice au discours amoureux


Tendre d'amour c'est désirer que l'objet aimé devienne sujet dans notre amour, dans notre "je" fatalement "je" (n'admettant d'autre sujet que lui-même), et dans notre relation à tous deux (relation qui pourrait alors n'être pas seulement réfléchie - je regarde l'autre et je m'y vois, moi et mon regard - mais réciproque - chacun sait et admet (et aime) que l'autre regardé nous regarde en retour)
tendre d'amour c'est donc désirer être deux quand bien même on est fatalement un.
on le sait - mais quand même

Ainsi l'amour n'est-il jamais qu'en puissance, jamais en acte -
mais dans la puissance même il y a de l'acte
Tendre d'amour c'est être déjà dans l'amour que l'on n'atteindra pas.
On n'y est jamais mais le dire c'est y être déjà.
Car, comme dit Barthes :
"(L'atopie de l'amour, le propre qui le fait échapper à toutes les dissertations, ce serait qu'en dernière instance il n'est possible d'en parler que selon une stricte détermination allocutoire ; qu'il soit philosophique, gnomique, lyrique ou romanesque, il y a toujours, dans le discours sur l'amour, une personne à qui l'on s'adresse, cette personne passât-elle à l'état de fantôme ou de créature à venir. Personne n'a envie de parler de l'amour, si ce n'est pour quelqu'un.)"
Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Réflexion


Réflexion : non pas regarder un objet et que l'objet nous regarde en retour (il ne s'agit pas de réciprocité) ;
mais peut-être regarder l'objet et se regarder regarder l'objet - dans cette mesure seulement, l'objet nous renvoie notre propre image (et notre rapport à lui - qui est, le regard). 
[c'est alors l'objet qui nous réfléchit, et non nous qui réfléchissons l'objet].

Mais pourtant ce n'est pas seulement cela réfléchir.

Le verbe "réfléchir-penser" est-il vraiment (consciemment) issu du verbe "réfléchir-refléter" ? 
Ou essaie-t-on seulement à présent de donner un sens plus dense au verbe "réfléchir-penser" en le pensant en rapport à cet autre verbe "réfléchir-refléter" ?
Y a-t-il deux verbes ou n'y en a-t-il qu'un seul ?

Est-on dans une recherche étymologique, dans une tentative de retrouver,
ou bien dans une tentative de création (créer plus de sens en un même mot - presque alors créer un nouveau mot) ?

Quoiqu'il en soit, on tend vers plus de sens ; mais savoir si l'on recherche quelque chose d'existant (ou ayant existé) ou si l'on cherche quelque chose de neuf permettrait de savoir comment chercher : doit-on regarder de près et restreindre le champ de regard pour faire le jugement précis et ne pas s'égarer, ou doit-on au contraire élargir le champ de regard pour faire surgir du sens de toute terre fertile, même étrangère (étrangère à l'étymologie du verbe "réfléchir", étrangère aux sens passés, à ce qui a déjà été, au passé lui-même) ?
Sommes-nous historiens ou artistes ? Quel moyen avons-nous choisi pour chercher le vrai ?
J'avance dans l'ignorance de ce moyen.


Post Scriptum : j'ajoute ce soir : peut-être faut-il d'abord faire le regard large avant de pratiquer la myopie voyante - probablement ensuite faut-il dans un mouvement interminable de va-et-vient aller de l'un à l'autre.
Se faire chercheur donc, par tous les moyens.


vendredi 5 novembre 2010

Arrêt sur regard


J'admirais (une fois encore) la beauté de la feuille d'un arbre (d'un arbuste cette fois-ci) - et soudain je compris que mon émotion n'était pas mue seulement par la beauté de cette feuille mais également par le signe* de nature qu'elle était (et, en tant que signe, elle n'est pas fragment de la nature, encore moins synecdoque, mais elle est la nature toute entière - elle contient en elle toute la nature et elle l'excède en cela qu'elle est, au contraire de celle-ci, matérielle) : ainsi, si j'eûs exactement le même objet sous les yeux mais que je le sûs artificiel (de tissu par exemple) il n'eût suscité en moi aucune émotion (ou du moins, l'émotion fût moindre).

*Signe, c'est à dire, conception de mon esprit : c'est moi qui décide de voir en cette feuille la nature entière.   Ainsi, c'est donc de moi-même que je suis émue ; ou plutôt : par moi-même.

Je recquiers divers objets pour pouvoir les transfigurer, pour avoir matière à transfigurer - les choses sont des interfaces entre moi et moi-même ; interfaces nécessaires car je dois avoir matière à transformer (/ou peut-être : car je dois croire sortir de moi).
Les objets extérieurs sont comme la surface d'une eau qui permet de transfigurer mon visage, mon corps, par le reflet troublé ("bouleversé"?) que j'en aie.
Pourtant ce n'est pas moi que je veux voir.
Mon regard se porte sur les choses et les transfigure pour que je puisse voir ce que je désire voir : par exemple, la nature.   Le fait que ces choses (que je fais signes) me soient extérieures me permet de me laisser tromper par l'illusion dont je suis l'auteur, ou plus exactement, le regard.

CEPENDANT : après cette découverte de mon illusion, mon émotion n'en est en rien affaiblie. C'est que, lorsque je touche cette feuille, je sens sa chair entre mes doigts : elle est bien un corps vivant extérieur à moi et cela suffit à me faire pleurer de joie. Je ne me l'explique pas.

lundi 1 novembre 2010

Élan de la brièveté


"Ce qu'il y a d'admirable dans le fantastique, c'est qu'il n'y a plus de fantastique : il n'y a plus que le réel." (André Breton)
Le fantastique est le lieu où l'irréel bascule dans le réel - alors, perte des repères, mais les repères n'ont déjà plus tellement d'importance.
Le rêve aussi - et les récits de rêve me permettent de travailler le fantastique.

Je pense que la forme brève donne force au fantastique -
et surtout : le fantastique donne force à la forme brève

Internet, entre lieu et non-lieu, 
Internet encore pour nous étranger, incompréhensible,
Internet, lieu qui n'est que frontières (et l'on ne sait jamais de quel côté on se trouve) :
Internet devient le lieu opératoire du fantastique

Internet par ailleurs, donnant un nouvel (un premier ?) avenir (venant déjà) à la forme brève

Internet alors, et j'y ferais éclater un fantastique bref : le trouble ne s'achève pas avec la fin de la lecture ; il commence avec elle.
Internet comme plateforme d'où l'on jette les fils - c'est dans ces fils que vit le Web:au-delà de lui-même,il commence là où il finit,il commence en ses fins,s'élance en ses marges.


Rimbaud cherchant une langue qui soit "de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant."
Lettre à Paul Demeny, 1871.