mardi 30 mars 2010

non-site


A quoi me sert d'avoir un lieu où être puisque ce lieu n'est rien ?

- autant être nulle part.

lundi 29 mars 2010

Prendre en main ou laisser filer entre les doigts ? (je suis toujours aussi mauvaise pour les titres, manque d'entraînement)


Faut-il maîtriser son écriture jusque dans ses infimes interstices ou faut-il au contraire la laisser s'échapper, libre, ouverte ?

je préfère la laisser filer (seule - ou du moins un peu sans moi), mais j'espère ne pas me dissimuler ainsi ma faiblesse : mon manque de concentration (flegme) qui serait dans l'écriture de même que dans la lecture . . .

je suis oisive comme le vent, marcher courir voler me suffit


sites


C'est étrange cette impression d'avoir trouvé un lieu où être depuis que j'ai créé ce site

lieu virtuel et pourtant de terre moins meuble qu'ailleurs

lieu où je suis ni seule ni avec

presqu'un non-lieu tant il est indéfini - et pourtant lieu où je suis plus qu'ailleurs

pour le moment

écriture impersonnelle


j'ai neutralisé le "je" en le confondant en le fusionnant au "tu", au "on", au "il"... les personnes (pronoms personnels) peuvent apparaître car ils n'ont plus de valeur.

je n'ai pas encore attaqué (ni identifié) la cause de mon attaque au (pronom) personnel

chassé-croisé


L'internet offre la lecture en canevas illimité(à échelle d'homme)


Les oiseaux de six heures du matin chantent dans mon neuf heures du soir et mon vin rouge semble sortir de la terre humide et forestière, une goutte de vigueur à mon front.

j'ai bu à la plaie vivante d'un arbre et dans ma gorge ont germé les secrets de la terre


mon corps devenu vert de pluie

de la nécessité d'être une bonne tricoteuse

lundi 00 : 23

lorsque l'écriture se tisse par des fils de couleurs différentes et que la fatigue trouble la vision non pas du mot mais de l'ouvrage, il devient difficile de reconnaître la couleur du fil sur lequel on tire et de le lier aux autres en des noeuds stratégiques.

dimanche 28 mars 2010

retour avant d'aller


Je m'avancerai dans la migration-inverse des tsiganes...

Strange


"Au fond, le seul courage qui soit exigé de nous est celui qui nous permet d'affronter ce que nous pouvons rencontrer de plus étrange, de plus singulier, de plus inexplicable. En ce sens l'humanité a été timorée, et il en a résulté un dommage irréparable à l'égard de la vie ; les expériences appelées "visions", ce que l'on appelle "le monde des esprits", la mort, toutes ces choses dont nous sommes si proches ont été, jour après jour, repoussés loin de nous, si bien que les sens qui nous auraient permis de les percevoir se sont atrophiés". Rainer Maria Rielke.

L'étrange : I'm attracted.

écriture blanche


Carolyn Carlson : sur scène je ne pense pas : "Je suis la forme. Il n'y a pas de place pour la pensée."

Parvenir à une écriture sans pensée, seule la forme de notre corps révélée par l'articulation des lettres, des sons, des souffles.

Blancheur des cuisses internes d'où s'ouvre la page.

il faudrait danser sur la banquise d'avant la lettre, froid polaire au souffle blanc des poumons

samedi 27 mars 2010

écrire, danser


la danse signes en silence s'étend en espace-temps

chaque geste est un signe pictural toujours blanc

seulement du corps lentement désarticulé - langage désarticulé

la danse ne dit jamais rien. la danse est silence.

de cette perfection, de ce blanc pur, je veux faire mon écriture.

ainsi je dévaste la page pour qu'elle soit toujours blanche,

je mine le sens du signe, j'attaque le mot noir à sa racine : la lettre - pas même : le trait, le point, noir.

pureté du langage qui ne dit rien.

pureté qui me précède. pureté d'avant la lettre. pureté d'avant les hommes.

pureté du corps seul

pureté que seul le travail du corps peut retrouver. je veux une écriture du corps.

pureté : idéal fantasmatique qui dans mon imaginaire crée un monde fantastique, un monde "hidden" comme créé par Carolyn Carlson.

"Hidden" Chorégraphie de Carolyn Carlson, composition musicale de Kaija saariaho, quatre danseurs du Centre Chorégraphique National de Roubaix


Pénombre des corps s'amassant autour de ces visages gris, tordus,
monstres lynchéens à la danse sacrée de corps de craie

et les jambes blanches immenses dans le vert du sol

Faune désarticulant les membres, les oiseaux détachés du ciel tracent des mouvances nouvelles sur la terre

Etre dans un monde autre sans sens aucun que cette identité d'autre, où les corps se délient et se lient dans une langue étrangère, peut-être celle d'oiseaux muets d'une Asie lunaire, où les corps de transparence dans l'encens de l'air

des êtres autres, des mouvements autres, des sons autres, des relations autres, un monde que l'on ne connaît nullement : sortir enfin de la connaissance, du sens (auquel on est réduit).
Pénétrer l'étrange en ayant plus en nous aucun langage d'aucune sorte.

Carolyn Carlson


La danse de Carolyn Carlson est elle aussi art total - quand bien même tous les arts n'y sont pas, il ne nous manque rien.

tsigane bleue


23 : 45


des heures seule dans la nuit extérieure à danser. entre deux pans de bleu de forêt. tsigane de l'ombre. envers et contre tous. prendre le train. Espagne pays des gypsies. Puis direction Rromanie : latcho drom !


Cirqu'ici


Le cirque est l'art total (ou plus objectivement : le cirque est un art total).

Le cirque me fait pleurer de joie.

Les premières techniques circassiennes se sont développées il y a des milliers d'années en Afrique et en Asie : lors de cérémonies, les chasseurs imitaient les animaux afin que Dieu mettent ceux-ci sur le chemin lors de la chasse.

Le mât chinois était autrefois un arbre fruitier auquel on grimpait le plus vite possible pour pouvoir en décrocher les fruits avant son rival.

Les tsiganes pratiquent depuis des siècles la contorsion, l'acrobatie et le funambulisme. En outre, ils ont toujours eu des contacts particuliers avec les animaux. Lorsqu'ils arrivent en Europe aux alentours du Xe siècle, ils se produisent dans les foires où des forains les emploient afin d'attirer l'attention des clients.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que les foires sont progressivement interdites, les tsiganes (les saltimbanques, de l'italien ancien "saltare in banco", sauter sur le banc) s'allient aux voltigeurs à cheval : on date souvent la naissance du cirque de cette époque.

Je donne quelques conseils pour ceux qui voudraient voir des spectacles (je ne conseille que ce que j'ai vu, et la seule garantie offerte est mon bon goût!) :

Pour du cirque tsigane, le Cirque Romanès (j'ai été un peu déçue par le spectacle, mais pour l'ambiance ça vaut le coup)

Pour du cirque plus "contemporain" : Les Arts Sauts (trapèze volant), le Cirque Plume, les spectacles d'école du CNAC, le Théâtre du Centaure (théâtre équestre), Cie Jérôme Thomas (vu seulement en vidéo), Joao Paulo Pereira dos Santos (mât chinois - vu également seulement en vidéo), le Groupe acrobatique de Tanger, les Colporteurs (fildeféristes)... et surtout James Thierrée !

...sans oublier les Noctambules des Arènes de Nanterre...

Lecture en filigrane du nouvel Alice au Pays des Merveilles


Cette fois-ci, c'est moins la critique de la société victorienne qui se donne à lire en sous-texte, qu'un manifeste féministe... l'oeuvre est ainsi réinscrite dans l'actualité (les luttes féministes ne pouvant malheureusement se démoder puisque toujours pas parvenues à leur fin), quoique la critique d'une société fondée sur les apparences (le capitalisme n'étant lui non plus pas démodé et la société de consommation ne s'étant pas stoppée net aux Trente Glorieuses) et soumise à l'autorité d'une Reine Rouge (n'avez-vous pas remarqué le teint excessivement rosé de notre cher Président?) nous aurait elle aussi incité à observer notre société à travers celle d'Alice.

Le film s'ouvre sur un éloge au rêve... au rêve terre à terre. type american dream. En effet, le père d'Alice, qui s'amuse (s'amuse ?) à admettre chaque matin 6choses impossibles avant son petit-déjeuner, est de la race des marchands conquérants qui tourne les yeux du côté de Bornéo et Sumatra. Cependant, ce type de rêve fait de lui une figure de modernité eut à égard à la société dans laquelle il vit - et qui est comme il se doit quelque peu réticente à ses idées.
Or, la modernité est rupture et la rupture est prise manifeste (prise et manifeste) de liberté.
En outre, la liberté de Charles Kingsley n'est pas seulement du libéralisme : sa liberté d'esprit s'étend à la liberté avec laquelle il envisage l'esprit humain : il dit à sa fille qu'elle est à moitié folle : tous les gens bien le sont.

La folie est ici imagination. Imagination qui mène vers des mondes fantastiques (rien ne permet jamais de savoir avec certitude si le Pays des Merveilles est rêve ou réalité : Alice elle-même hésite toujours, et si elle semble revenir d'un rêve à la fin du film, elle porte encore la trace des griffes du monstre. Enfin, admettre que sont possibles des choses impossibles brouille toute frontière entre réel et irréel, ou du moins entre possible et impossible) ou des mondes de terre ferme mais lointaine (Alice deviendra Sindbâd le marchand de la Mer et prendra les voiles pour la Chine).

Alice ou la première femme à porter des pantalons.

Alice, dans ce nouvel opus Disney, a pris de l'âge et de la poitrine (de quoi faire rêver un chapelier), et est bonne à marier, du moins selon l'avis de ses proches (et de la société entière, qui la regarde - n'oublions pas combien les vieilles filles étaient mal perçues au XIXe siècle). Quelle chance ! Alice est si jolie (et si héritière) qu'un Lord veut l'épouser... seulement le Lord est roux (ben oui, les roux sont moches, c'est bien connu, et il paraîtrait même qu'ils seraient apparentés au Malin)... et ce roux là est non seulement bien laid, mais qui plus est désagréable, pour ne pas dire tout à fait infâme. Loin d'être un roux rejeté par la société (car s'il est roux, il est toutefois Lord), c'est un jeune homme (eh oui, les jeunes hommes laids sont aussi de jeunes hommes) reflet et même comble de sa société, qui en cristallise tous les défauts, notamment celui de cultiver les apparences et les bonnes manières les plus sinistres.

Alice est donc demandée en mariage en toute bienséance et en toute hypocrisie : la demande est publique et elle n'est que forme convenue : le jeune Lord (Amich), ainsi que tout le parterre de la riche société réunie, considèrent que le fameux "oui" est acquis et se félicitent de la faveur qu'ils croient faite à Alice.

Seulement, la belle Alice, lorsqu'elle voit son futur colocataire de lit se décrotter le nez avant même d'avoir sorti la bague à mille carats, elle s'enfuit....

....au Pays des Merveilles.

Son épopée au Pays des Merveilles sera une épopée intérieure au cours de laquelle elle s'interrogera sur les possibles et apprendra peu à peu à affronter ses peurs en face. Elle apprendra à tracer elle-même son chemin, quitte à être seule. Enfin et surtout, elle s'interrogera sur son identité et comprendra (par elle-même puisque tout le Pays n'est qu'elle même) que celle-ci n'est pas (et nous aurions voulu que l'on dise également "ne sera jamais") fixée et que c'est à elle de la forger (ou de la chapeauter).
Cette question de l'identité est posée par tous les êtres fantastiques qui peuplent le monde d'Alice : "est-ce la Alice ? est-ce la bonne Alice ?". Cette question ne cesse de hanter le film. La Chenille Bleue donne la réponse à demi-mots : "Ce n'est pas Alice". Et l'on comprend dès lors ce qu'il explicitera à la fin du film : "Elle n'est pas encore Alice".
C'est une Alice en puissance, et il faut qu'elle devienne une Alice en acte.
(si Sartre aurait été d'accord sur l'idée que l'essence ne précède pas l'existence - quoique si Tim Burton est thomiste, il considère peut-être que l'essence d'Alice précède à l'existence de celle-ci et qu'elle ne fait au cours de ses aventures que déployer son essence afin de devenir elle-même en acte - ce qui supprime toute liberté - - , il aurait certainement souligné une limite : l'impossibilité d'une Alice enfin et définitivement en acte puisque c'est la somme des actes qui fait l'essence (or, les actes ne s'arrêtent pas à la mise à mort d'un monstre mais à notre propre mort)).

Pour devenir Alice, la jeune blondinette doit tuer un terrible monstre qui est le garant du terrible pouvoir de la terrible Reine Rouge : c'est sous la menace de ce monstre que les cartes se plient au mauvais vouloir de la reine et sont devenus ses pions.

Un peu simplet ce monstre à tuer pour faire revenir le bon ordre dans le monde, mais passons.

Ce qui est important c'est que :
-Alice a tracé elle-même son chemin pour y parvenir et a refusé de suivre les conseils (les ordres) qu'on lui donnait (ainsi, alors que le chapelier lui a dit de se rendre chez la Reine Blanche, elle le rejoint chez la Reine Rouge) : de même Alice parviendra à refuser la demande en mariage à laquelle tous l'incitent et tracera son propre chemin, tel Moïse à travers la Mer Egée (d'ailleurs, elle aussi draine son peuple derrière elle, puisque les entreprises commerciales sont tout prêt à la suivre jusqu'en Chine... à suivre l'appât du gain - et cette fois-ci nous ne parlons pas de la poitrine d'Alice).
-Alice n'a cessé de s'interroger sur les possibles, sur le possible/impossible. Durant tout le film, elle se demande si le Pays des Merveilles est rêve ou réalité, et au moment crucial où elle doit tuer le monstre, elle essaie d'accepter 6choses impossibles... Ainsi, il devient possible de refuser un mariage auquel on la contraint, possible de mettre un pantalon, possible de monter à la tête d'une entreprise commerciale et de partir en mer à la suite de Sindbâd (on se demande d'ailleurs quand est-ce que Disney sortira sur nos écrans le Premier Voyage d'Alice et les six autres... si ce n'est plus).
-en se battant avec le monstre, Alice affronte ses peurs en face, et c'est aussi ce qui lui permettra de refuser la demande en mariage.
-Alice devient Alice au Pays des Merveilles et au pays anglais, puisqu'au retour dans celui-ci, elle refuse de continuer à se cacher, à se contraindre, à s'étouffer, et révèle sa vraie nature d'aventurière... (là encore, une analyse sartrienne - la mienne du moins - répliquerait qu'il n'y a pas de nature).

Intéressant tout cela, mais quelques détails clochent :
-au Pays des Merveilles, Alice ne trace pas elle-même son chemin jusqu'au bout, puisque c'est la Reine Blanche qui lui force la main pour qu'elle aille tuer le monstre. Cependant, si l'on admet que, comme dans un rêve (?), toutes les figures du Pays des Merveilles sont des doubles de celle qui rêve (et donc des doubles d'Alice), on peut voir ce combat mental entre elle et la Reine Blanche comme un combat avec elle-même : combat entre sa lâcheté et son audace.
-la Reine Blanche dit à Alice qu'il ne faut pas toujours qu'elle fasse en fonction des autres puisque, face au monstre, elle sera seule. En effet, Alice sera seule face au monstre roux qui hantera son lit, et c'est bien pour cette raison qu'il ne faut pas qu'elle dise oui pour faire plaisir à la société. Cependant, au Pays des Merveilles, Alice accepte d'aller seule rencontrer le monstre pour faire plaisir à la Reine Blanche et aux habitants du pays. Bon, encore une fois, si l'on accepte que tous ceux-là sont des doubles d'Alice, cela peut fonctionner... mais tout de même, cela me semble un peu bancal, quelque chose m'échappe...

Se pose par ailleurs la question de la moralité.
La Reine Blanche et la Reine Rouge semblent représenter le Bien et le Mal dans un manichéisme simplet (et simplifié, puisque le Manichéisme n'est pas la simple opposition du bien et du mal), et le Bien finit par l'emporter.
Cependant, ce "manichéisme" est miné de l'intérieur :
-si la Reine Rouge est mauvaise c'est parce que c'est une mal-aimée. Ceci pourrait nuancer quelque peu l'opposition bien/mal en posant le mal non comme un mal absolu (qui serait depuis toujours) mais comme la résultante de causes psychologiques. La Reine Rouge apparaît alors presqu'innocente, d'autant que si elle est mal-aimée, c'est du fait de sa laideur (ce qui la disculpe et inculpe au contraire la société qui l'a rejetée).
-cependant, si la Reine Rouge est mauvaise, selon sa soeur, c'est aussi à cause de sa protubérance crânienne qui opprimerait son cerveau... raillerie fort gênante à l'égard des personnes ayant ce type de malformation...
-à la fin, au terme du combat entre le mal et le bien, remporté par ce dernier, la Reine Blanche s'adresse à sa soeur et lui dit à peu près ceci : "Pour tout le mal que tu as fait, tu mérites la mort... (suspens atroce) Mais, c'est contraire à mes principes de tuer... (autre suspens, et cette fois c'est ce qui s'en suit qui sera atroce)... je vais donc t'envoyer dans les terres du néant où tu n'aura plus aucun contact avec les êtres humains, aucune affection de personne, personne...
Punition finalement plus cruelle que la mort et qui permet (?) à la Reine Blanche de garder son innocence, ou du moins de croire la garder, de ne pas se sentir coupable... et surtout de maintenir son image de sainte aux yeux de son peuple (et aux yeux des spectateurs) (Alice elle-même semble se faire prendre au piège)...

On voit ici que cette Pure Reine Blanche n'est pas si pure... pas si bonne... le doute peut dès lors s'engouffrer dans nos esprits : n'est-ce pas la Reine Blanche qui est à la source de la cruauté de sa soeur Reine Rouge ? Ne l'a-t-elle pas rejetée et raillée depuis leur plus tendre(?) enfance ? Incitant tout le monde à la moquer et à l'exclure (y compris ses parents) ?
De plus, la Reine Rouge est l'aînée... comme elle dit, c'est elle qui est l'aînée et devrait donc avoir la couronne... pourquoi n'en a-t-elle donc pas hérité ? n'est-ce pas que la Reine Blanche est devenue reine par un putsch (et a donc tué ses parents...) ? ...
Alice (ni nul autre) (le film en fait) n'essaiera jamais de savoir ce qui s'est passé... l'histoire avant l'histoire restera dans l'obscurité... Alice est naïve (et nous aussi) et en cela cruelle malgré elle : elle n'essaiera jamais de savoir ce qui s'est passé autrefois pour la Reine Rouge, et elle n'essaiera donc jamais de comprendre celle-ci...

La Reine Blanche : la cruauté avance masquée.

(Ainsi, notamment, la moquerie à l'égard des handicapés et de la laideur ne serait pas une immoralité du film, mais une immoralité de la Reine Blanche... encore faut-il que les spectateurs comprennent que cette Reine Blanche est à condamner, tout autant que sa soeur si ce n'est plus...).

De toute façon, ces deux reines qui semblent au premier abord opposées sont soeurs... ainsi, l'idée de gemellité (ou du moins de double) est dès lors introduite...

Par ailleurs, le maniérisme exagéré de la Reine Blanche pouvait d'ores et déjà faire l'objet de soupçon... enfin, derrière sa pure morale courait en filigrane sa grandiose immoralité : lorsqu'Alice lui demande pourquoi elle ne tue pas elle-même le monstre, elle répond : "c'est contraire à mes principes de nuire aux êtres vivants..." (notons au passage l'euphémisme "nuire aux être vivants" qui est lui-même fort de signification...). Il est donc contraire à ses principes de tuer un être vivant, mais il n'est pas contraire à ses principes de contraindre quelqu'un à le faire pour elle ! (ce qui est une double immoralité). Parfaite despote.
Ce maniérisme exagéré et cette grande moralité apparente qui recouvre une grande immoralité de fait ne sont-ils pas justement les vices du siècle victorien (et peut-être de notre siècle, voire de tout siècle...) ?!
Cette Reine Blanche serait donc le miroir où se cristallisent les vices "victoriens", et elle serait ainsi le reflet au Pays des Merveilles de ce fameux Lord qui demande Alice en mariage...

Sauf que là encore, notre interprétation se bute à un obstacle : au Pays des Merveilles, Alice rend service (se soumet, serf) à la Reine Blanche, alors qu'au pays du réel elle tord le cou à Amich et aux règles de la société... Paradoxe donc. Qui réfuterait mes hypothèses. Mais je persiste à croire que la Reine Blanche est mauvaise... je ne le crois pas seulement, je le constate. Et tanpis si cela n'a pas été pensé ainsi par les concepteurs du film.

En tout cas, ils ne me feront pas croire qu'ils n'ont pas volontairement instauré une ambiguïté (sexuelle?) dans les rapports entre Alice et le chapelier (j'ai bien évidemment envie de dire Johnny Depp et non le chapelier, car une ambiguïté sexuelle avec Johnny Depp c'est tout de suite plus excitant).
Le chapelier dit à Alice qu'il est dommage qu'elle soit toujours trop petite ou trop grande... pour quoi ? pour l'embrasser évidemment... ou pour embrasser son corps entier.
Lorsqu'enfin elle est à sa taille, il en devient fou : "quelle taille parfaite, quelle taille parfaite, quelle taille parfaite..." : il va défaillir de désir le pauvre petit chapelier fou (et nous on est fou de johnny depp même avec la peau blanche et les cheveux oranges).
A la fin, lorsqu'Alice va partir, il s'approche d'elle dans son dos... et lorsqu'il se rapproche de sa nuque, on pense (on désire) qu'il embrasse celle-ci... mais il ne lui fera l'amour que par sa langue dans son oreille - sa langue : son langage...
(Si on a vu Arizona Dream on peut aussi rêver sur cette scène inversée de Grace (Lili Taylor) dans le dos d'Axel (Johnny Depp)...).
Bref, nous resterons frustrés, le chapelier aussi, et c'est très bien comme ça.

Par ailleurs, la langue du chapelier fou n'est pas belle seulement de ces baisers manqués mais aussi de sa poésie toute libre, de ces phrases de neuf [nommées] poèmes, de ces néologismes merveilleux aux rythmes aux sons qui percutent le coeur, onomatopées cardiaques échos du pas dans la forêt, où il invente le paysage au fil de sa marche (ainsi est-ce peut-être le chapelier fou qui a inventé créé le Pays des Merveilles, et Alice n'est pas sa créatrice mais sa créature...(il la possèderait donc finalement (et il y aurait complexe de Pygmalion doublé de schizophrénie))).

Mais comme la nouveauté, la modernité, la rupture, s'inscrivent toujours dans la lignée (perturbée mais non détruite) des anciens...
on peut entendre au détour d'une tirade du chapelier fou (à moitié fou) le rythme inoubliable d'Edmond Rostand : "c'est un pic, c'est un cap, que dis-je, c'est une péninsule !". Les mots sont changés, mais le rythme est là, indubitablement, à cligner de l'oeil à cet auteur qui dans sa tombe n'a toujours pas réussi à s'endormir.
(jamais d'inventio fondée sur du néant).

Néanmoins, la poésie aédique et la poésie trouvère sont bel et bien renouvelées par l'association à la musique et à la poésie d'une danse délirante...

Enfin, le film reconnaît sa filiation non seulement avec les autres oeuvres littéraires, mais aussi et avant tout avec les Alice au Pays des Merveilles (avec celui de Lewis Caroll, mais plus encore avec le dessin animé déjà fait par ce même omniprésent Disney).
Le film joue ainsi du fait que ce remake est aussi une suite, et qu'Alice a déjà vécu ces aventures... comme Wendy, elle revient au Pays Imaginaire... et ce sont aussi les spectateurs qui reviennent au Pays de l'Enfance, comme le film ne manque pas de le leur rappeler ("tu es déjà venue Alice"... supprimons le prénom et cela suffit). Le film s'adresse avec stratégie à ceux qui ont vu le dessin animé étant enfant et ont grandi depuis... ce qui fera assurément un faramineux chiffre d'affaire pour ce nouveau Disney - chiffre d'affaire qui ne diminue en rien la qualité du film, comme nous espérons avoir réussi à le démontrer, malgré toutes les nuances (pro)posées...



PS : en y repensant, Tim Burton me semble bien thomiste. Alice ne fait que suivre le chemin qui lui est tracé d'avance pour devenir Alice. Ceci explique aussi qu'à la fin du film elle suive la volonté de la Reine Blanche (et de son peuple). Alice ne serait alors aucunement libre et le manifeste féministe et "anti-victorien" perdent toute valeur.
Cependant, Alice suit le chemin qui est tracé dans (et par) sa propre imagination : elle réalise alors non pas ceux que d'autres (ou l'Autre) lui dictent, mais ce qu'elle croit être, ou peut-être plus exactement désire être. Elle réalise ainsi non pas ce qu'elle est (ce qu'elle serait de toute éternité : son essence), mais ce qu'elle désire être.
Il n'est pas question de transcendance et la liberté est sauvée.
Finalement on revient à Sartre (Alice se fait par ses actes : l'existence précède l'essence). Tim Burton aurait des sympathies sartriennes et non thomistes. Il faudrait qu'Alice puisse encore évoluer en devenant Sindbâd-girl et que son essence ne soit ainsi pas fixée à l'âge de 20 ans...

PS : Télérama est plus pessimiste que moi mais sa critique est intéressante et justifiée. Il m'apprend par ailleurs que Lewis Caroll est l'inventeur des mots-valises, ce qui explique le langage du chapelier (et lui enlève peut-être de son originalité ?)





jeudi 25 mars 2010

Course à la Grande Ourse


18h30-19h45 : 22h29

On m'appelle la silloneuse de Paris ; pourtant je ne laisse pas de trace.

Ai parcouru la lumière dans ses rues, chassé la grande ourse au devant, accroché la lune à la pointe de l'église, jeté les nuages au tout venant, aux passants au bitume.

Métros aériens qui traversent les rues et relient la ville, armature sans laquelle tout s'effondrerait sans doute.

Sacré-coeur accroché au fil de l'horizon, on se demande quand il tombera.

Et l'on court dans la lumière. sur la place ronde de dalles de l'espace en écart pour les bras large ouverts , lumière circulaire qui naît des tourbillons que l'on trace insouciant, à la vitesse des nuages d'or qui balaient le ciel et disparaissent dans une ville voisine et inconnue, orientale.

Et l'on court le coeur à se rompre, on sourit à la lune et au passant, le coeur à la renverse et l'on manque de se faire renverser, feux dont les couleurs ne sont plus que couleurs, sans signification autre que couleur couleur.

Et on laisse le vent s'engouffrer dans les rues, dans les artères, dans le coeur.

Chaque pavé connaît mon nom et nul homme ne me reconnaît. rien de semblable qu'avec la marche la course martelée des souliers sans semelle.

et quand la pluie tombe c'est de la lumière qu'on recueille en son sein
des odeurs de corps du monde
senteurs de camphre et de cannelle,
d'aubépine de chèvrefeuille,
de terre profonde de vers de vie.
Et les cheveux coulent rigoles entre les pavés inégaux,
la pluie a investi le son elle est le son de la ville à présent
Jusqu'à la place d'Italie vers laquelle on remonte (comme si on avait déjà fait le chemin), l'eau descend la pente et l'on se rencontre dans une continuité imperturbable.

La place d'Italie est grise sous le ciel bleu de nuit
elle est de lumière verte d'herbes phosphorescentes de violettes de jonquilles
odeur d'essence et de bonbon trop rose
comme une chape oppressante qui sape l'îlot reconstitué.

On en échappe seulement en passant par le comble d'odeur et de gris, le métro souterrain souterrain, souterrains débouchant sur souterrains toujours plus souterrains sous la terre de la terre, souterrains qui ne nous rejetteront à l'air libre seulement après nous avoir digéré putréfié - une heure durant et plus encore.

Sortie des entrailles et c'est la nuit.

Avant tout


jeudi : 6h09 :

Refuge du jour avant sa naissance,
refuge du noir de nuit où l'on est seul avec les oiseaux
chant des oiseaux : tiret qui se traîne entre la nuit et le jour
chant des oiseaux : silence de la nuit qui se prolonge

A cette heure encore inconnue des hommes on peut porter la main au langage silencieux
modeler des masses noires de mots faire se taire le langage dans la nuit

A cette heure c'est silence c'est silence

le silence s'écrit sans se rompre

les oiseaux chantent le silence et l'approfondissent.

La perfection du silence tient au chant des oiseaux et aux lettres noires sur page blanche.

Sans eux - le silence serait-il ?

Insomnie matinale

jeudi : 5h27


Là deux heures avant les oiseaux : il est 3h.

5h : les oiseaux chantent : temps d'écrire.

Rejoindre les aèdes par cette fracture.

lundi 22 mars 2010

"Flux" Théâtre du Centaure


Le froid de la nuit s'écarte tiré(es) en espace les langues blanches d'Arcadie se déroulent humides toujours sous le baiser lancinant de la Mer du Nord
le froid est de couleur vive
et sous son éclat le crin lui-même pâlit
chevaux sans lieu qui courent l'espace indifférencié
Peaux animales et humaines ensemble tannées par le soleil
sables aux peaux peau à l'eau
blancheur indifférenciée
blancheur de l'être : absence
Le regard glisse sur cette eau et ce sable indistincts
Sur cette peau et ce crin
L'homme et la bête indissociables
Sensualité du centaure, estran d'une faune fantastique, là où immémorialement le sable et l'eau s'étreignent d'une passion inchangée

Un pan d'eau noire horizontale que coupe un pan de franges blanches sur lesquelles, à nouveau, la Mer du Nord, son évocation, son blanc centaure son estran blanc
et la croupe blanche soudain surgit de cette surface plane de cette surface d'absence
le centaure de dos se livre à un hyménée solitaire danse païenne aux ondulations fantômes
courbe des mouvements muscles saillants centaure aux cuisses fantastiques aux épaules de fusain aux cheveux longs comme la crinière
le dos se courbe en arrière et se clôt sur lui-même
la crinière se glisse entre les pectoraux caresse le visage l'abdomen enserre le cou
danse fabuleusement masturbatoire
d'un Centaure frottant son corps-homme à son corps-cheval.

La rencontre entre deux Centaures décuple les corps en contact à l'infini la jouissance

samedi 20 mars 2010

un ailleurs possible ?



- travailler en annexe de la connaissance ? fouiller ailleurs, chercher autre chose que la connaissance, creuser sans sens aucun, ni direction.ni message.
idéal d'absolu ? beauté vaine ?
illusion ? isolement ?

écriture racinienne


( je ne m'avance qu'à des hypothèses.

je laisse tout en l'état.

parce que si un pas contredit le précédent on ne peut savoir si ce nouveau pas est la vérité contre l'autre ou si c'était le pas précédent qui était vérité contre lui

ou si tous deux faux et chancelants ont besoin de s'appuyer l'un sur l'autre

je m'enfonce par les ongles

je n'écarte pas les racines
je creuse ma terre en suivant leur forme leurs méandres

elles sculptent le corps noir de mon texte

et celui-ci ne les recouvre pas


...Oralité



(l'oralité c'est la pensée désordonnée non plus par elle-même mais par le corps)

"Loin d'eux" de Laurent Mauvignier par Rodolphe Dana


Et l'oralité est là sur la scène nue sur la page nue le rythme est celui du corps où le sang influe
bouscule les muscles et les os
fait enfler les artères les veines

La syntaxe du corps intérieur la syntaxe de la pensée intérieure si elle pouvait être pensée ainsi
on livre par ces mots silencieux ce qu'on serait si le corps s'organisait un tant soi peu en soi si les artères s'articulaient les unes aux autres tout en laissant le mouvement insensé du sang noir couler dans ces réseaux fragiles

L'oralité c'est la littérature qui dit ce qui n'est pas et dit ainsi l'ordre et le désordre du corps de la pensée des mots échappés
L'oralité ordonne la pensée tout en laissant le désordre du corps la perturber

L'oralité c'est ce qu'on voudrait dire tout en maintenant en cela notre absolue et sublime impuissance à dire

Oralité : puissance à révéler l'impuissance

oralité : fragment mis à jour de notre faiblesse sensible, commune et pourtant propre

oralité : beauté fragile de notre fragilité qui sans elle tuerait (de solitude, d'ignominie)





- puisque l'écriture est la langue du silence




"Ce n'est pas parce que je ferme les yeux que je dors..." Création de Shush Tenin et Laurent Bellambe


Les corps tordus dans la lumière jaune puis noire noire puis jaune de la scène
des corps à blanc armes blanches balles noires
ce sont des peaux arrachées - arrachées de leurs propres mains par le regard des autres

"ce n'est pas parce que je ferme les yeux que je dors..."

je ferme les yeux parce que personne ne me voit
je ferme les yeux pour ne pas qu'on me voit
je ferme les yeux pour ne voir personne
je ferme les yeux parce que je ne vois personne

et comment chacun s'arrache à soi-même parce que sa peau ne peut être soi
parce que soi est ailleurs parce que soi ne peut pas être ici

parce qu'il faut fuir pour ne pas mourir

mourir de tous ces regards qui sur soi convergent qui de soi divergent

mourir de ce trop-plein de présence qu'on nous fait porter
de ce corps lourd et débordant

mourir de cette absence qui elle-même nous est à peine donnée à porter
corps translucide derrière la peau fine et grêlée rien que des os en poussière

et chacun s'élève pour frapper - quoi ? soi-même
et chacun crie et chacun n'entend rien

on frappe dans la lumière pour être de noir recouvert
disparaître par la mort ou le sommeil
par l'oubli du regard qui ne porte plus
par le monde sans distinction - opaque

seulement dans cet espace les corps sont apparus se sont révélés avec des mots mêmes des visages des corps nus des mouvements des enlacements des corps de rage abandonnés

chaque femme chaque homme a donné à voir la solitude qu'il avait avec son seul corps
et ces solitudes sur la scène jetées se sont vues invisiblement reliées comme une constellation dont seules les étoiles sont visibles et dont on voit pourtant les jonctions

- et cette constellation incluait chaque corps du public - non plus isolé(s).

Pluie du samedi 8h


Petit matin éveil dans la pluie
et le lit devient radeau
balloté par le vent par les volets engouffré

La pluie extérieure étend le refuge du corps à la chambre entière

Les yeux peuvent s'ouvrir grand sur tout ce qui au dehors chute frappe avec assurance le bitume faisant naître malgré soi une croûte de battance aux larges mailles laissant passer la vie jusqu'à la terre interne, les vers, les racines, les jambes, les hommes.

La pluie et son odeur de printemps de terre retournée
qui appelle les corps à se dénuder à s'allonger sous la verticalité des coups de vie et d'eau

à creuser la terre par la forme de ses seins
à terrer toutes les protubérances de vie pour qu'elles naissent à nouveau


printemps printemps de nos chairs sous la pluie


vivons large comme le ciel d'eau et d'odeur


vendredi 19 mars 2010

"journal littéraire" 2

Vendredi 18h24

L'ambiguïté du journal littéraire tient tout d'abord au caractère hybride de son genre, à un genre qui ne se nomme pas - et par là n'en est pas tout à fait un (?).

Un journal littéraire ne s'ouvre pas sur un préambule proposant un pacte au lecteur. Un journal littéraire ne s'annonce pas. Le lecteur du journal littéraire (et plus encore du journal littéraire internet) n'entre pas par une porte mais par une fenêtre quelconque : il pénètre immédiatement dans la matière même du texte, sans avoir pu préalablement l'identifier.

La dualité fiction/réel sort du champ des références : la question n'a plus ici à être posée.

On entre par effraction dans un monde où l'on rencontre des ombres - où l'on croit parfois apercevoir son ombre, parfois celle d'un supposé auteur, parfois celle superposée de ces deux ombres, et parfois même une ombre qui esquisserait une humanité rêvée.

Le propre de l'ombre est d'être fugitif : or la fugacité est aura de vérité.

Le lecteur tend les doigts et tout s'échappe, il se retourne, aperçoit une ombre derrière une nouvelle fenêtre, court vers elle se laisse emporter par une nouvelle pénombre, trébuche se relève, marche sans avancer, regarde sans voir, tend l'oreille au-dessus du vide.
Le lecteur est plongé dans le journal comme dans un rêve - ou cauchemar.

jeudi 18 mars 2010

Escargot, cirque sur le dos

jeudi 23 h 20

Ai appris ce soir que le travail du cirque avait porté son empreinte sur mon dos...
Ai appris ce soir que le cirque avait travaillé mon corps
Cette fosse au haut du dos - comme un coup de burin longuement creusé - n'est pas la patte d'une bénédiction mais anomalie anatomique ayant la puissance de me faire souffrir par la suite...
Mais je la porte fièrement comme trace - emblème - de mon travail de mes jours de souffrance joyeuse de mes nuits circassiennes
Elle est la preuve d'existence du travail acharné dans lequel je me suis jeté l'année dernière - et à moindre ampleur l'année précédente. Elle me rappelle la puissance de mon corps : ce que j'ai fait : ce que je peux encore faire, ce que je peux à nouveau faire.
Cette fosse est aussi un lieu : la fosse aux Arènes : Nanterre.
Un lieu, un monde. Fut-il le mien plus que tout autre ?
J'ai hâte d'y retourner.

Au creux

Un rêve : je suis dans l'antre de pierre sans relief, toute forme dans l'obscurité abolie ; goutte à goutte s'écoule le sang de l'un d'entre nous et j'ignore qui ainsi se mêle à la grotte et devient peu à peu stalactite coagulée de l'espace interne. Soudain, une flaque froide dans le granit creusé : je me penche, une goutte tombe. Je vois mon visage : il est en sang.

Le Funambule

Le funambule

Le funambule s'élance dans la nuit :
Noctambule de l'ennui
En fragile équilibre sur son fil,
Il glisse sur l'architecture déserte de la ville.

Minuscule funambule dans l'immensité noire
Il souffle dans l'espace inerte des bulles de désespoir.

filer - défiler - filer - défiler - filer ...

mercredi 00 : 57

On découvre quelqu'un qui nous montre ce que c'est qu'être deux et aussitôt nous rejette à la solitude - solitude dont il a arraché le voile que nous avions si lentement si laborieusement tissé.

Alors on jette ces fils libres à présent et l'on voit ce(ux) qu'ils attrapent, les noeuds plus ou moins lâches que l'on peut encore lacer.

Et toujours la mélodie se joue sur ces fils fragiles, trop tendus

- et les ruptures pour une symphonie discordante (pourvu que l'on distingue encore la musique).

Comme on entre et sort par les pieds

Mercredi 00 : 45

Quelques minutes suffisent à vous jeter d'un sentiment à un autre, qui lui semble tout à fait opposé - et la joie nouvelle vous donne incompréhensible l'abîme dans laquelle vous vous engluiez un instant auparavant. L'identité du moi est non seulement remise en cause par ces brusques changements, mais aussi par le fait que ce soit le plus souvent autrui qui soit à la source de ces renversements. En moi tout converge : je ne suis qu'une convergence.

En réalité tout à fait non. loin de moi l'envie de philosopher ce soir sur l'identité, moi, autrui, etc. d'ailleurs ne m'en sens pas capable.

Ce soir seulement envie d'être heureuse puisque suis enfin parvenue à extraire le moral de mes chaussettes (heureusement elles sont trouées, trous = échappatoires au moral) (mes chaussures étant trouées aussi, ça aide plus encore) (vous conseille à tous de ne plus acheter de chaussures neuves).

mardi 16 mars 2010

"journal littéraire"

mardi : 07h13

Ce que je nomme "journal littéraire" porterait à son comble l'une des caractéristiques de la littérature : celle d'être un corps que l'on pénètre sans jamais tout à fait pourtant le pénétrer.

L'autobiographie se veut en principe un acte de communication sur soi extrêmement lisible - ainsi, ce qui reste hors de portée du lecteur est ce qui n'y est pas dit bien plus que ce qui y est dit.

Le poème, lui, cherche des détours qui permettent de pénétrer plus avant - mais les chemins que l'on prend sont alors instables et l'horizon brouillé : on ne sait jamais très bien où l'on se trouve et point de départ et point d'arrivée semblent souvent se confondre tant la compréhension d'un poème est livrée à l'intuition - qui elle ne fait pas l'objet du code mathématique du langage - et donc ne se décode pas.

Le roman donne à pénétrer sa matière mais peut certes maintenir tout un champ hors de notre portée. Cependant, le fait que quelque chose nous échappe est inscrit dans le roman lui même. Par ailleurs, le roman ne prétend pas donner accès à son auteur.

Le journal littéraire semble lui ouvrir une fenêtre claire sur celui qui l'écrit. Cependant, alors même qu'il nous invite à regarder par cette fenêtre, il ne nous permet jamais de la franchir.

A quoi cela tient-il ?

Il me semble que je l'avais saisi ce matin là, mais l'idée devait être très vague ou peut-être tout à fait illusoire pour être si fugace : aujourd'hui je ne sais plus.
Je note cependant ces réflexions, avec toutes leurs incohérences et leurs pans d'ombre brouillée, en espérant qu'elles m'aident un jour à y retrouver un fil conducteur qui pourra me mener plus loin dans ces réflexions... ou peut-être quelqu'un m'aidera-t-il.

mercredi, 13h49.

lundi 15 mars 2010

Rejoindre le sommeil

lundi : 2h45

Pourquoi ne parvient-on pas à quitter - quoi ?
l'écran de lumière vive et blanche qui se découpe sur la chambre noire - sans volume ?
les touches qui se succèdent pour toucher par le mot, par les mots ?

Peut-être ne parvient-on pas non pas à quitter mais à rejoindre - quoi ?
Le lit qui a encore la forme des nuits précédentes ?
La nuit qui ne se referme jamais tout à fait sur le front brûlant ?
Les rêves qui ne seront qu'un trait d'union trop court entre ce jour et le suivant ?

Dormir : rejoindre le lendemain.

Le lendemain, où peut-être, il faudra se battre contre le jour
Le lendemain où la lumière descendra d'une façon encore inconnue sur la ville
Le lendemain où il y aura la lumière - et la parole partout diffuse et tonnante - le bruit - les cigarettes se consumant sans fin

Mais peut-être aussi la fumée du froid,
peut-être aussi des rires, des regards
une lumière, peut-être, qui m'enveloppera mieux encore que la nuit ne sait le faire.

être lié par les lettres

lundi : 01 h 32

Ai passé tout le jour - au-delà du jour aussi - à dupliquer les ombres sur pages claires et pages noires
Projetée dans son journal - à elle :
Journal : Journal dans lequel on peut entrer et à la porte duquel on est toujours après même être entré.
Alix Cléo.
Et je retrouve les mots antérieurs à ceux de Roubaud (Jacques) : ses mots étaient les siens.

Entrer dans un journal : ce qui est chaque jour plus inachevé encore.

Comment cela a été donné , comment cela se donne

comment ces lettres, ces mots jetés, ces fils noirs, appellent aussitôt la création d'un réseau
comment mes fils viennent en filigrane sur les siens
mes lettres se nouer aux siennes
leurs lettres se nouer aux nôtres
mes lettres se nouer aux vôtres
Chacun de nous lié aux autres par les lignes des mots, rejoints par leurs traits obliques, enserrés les uns contre les autres par leurs courbes, leurs arabesques.

A travers les temps, à travers les pages, à travers une mort
nous nous écrivons
nous pensons comme dans un seul et même livre
déployant chacun la pensée de l'autre

mon écriture fut "déliaison au monde"
mon écriture à présent liée au monde par les liens inévitablement jetés, cordes amarrées aux navires des autres, qui voyagent et m'emmènent.