vendredi 30 juillet 2010


"Dans les marges sans contours que j’arpente jusqu’à mourir (je le sais bien, je l’accepte), à force de les écrire parce qu’en moi tout l’exige, noter les bruits du monde qui m’entoure — et puisque ces bruits ne peuvent s’entendre qu’aux marges, marges fracassées dans le crâne (et de plus en plus, ces maux de tête qui me cernent : marges là encore : prix à payer, je m’en acquitte, sans ciller) — des chants de Bach, des voix qui percent, n’en saisir que la morale possible : la morale d’une beauté sans Dieu ; arracher Dieu à cette beauté qui seule me maintient là, pulsation du temps que je bats sous les doigts, un mot après l’autre, dire un peu dans sa propre bouche le monde tel que dans les marges il afflue hors"

(Des Marges, Arnaud Maïsetti, vendredi 7 mai, sur les marges.net de Jean Prod'hom)


Le poids du monde dans son déséquilibre, avec son centre lourd, englué, et ses marges dépeuplées : on le prend sur son dos jusqu'à mourir -
et ce qui avant ce temps fait vivre : la fulgurance de quelques beautés pures, "cette beauté qui seule me maintient là".
Entre ce poids du monde et cette légèreté des fulgurances, ce n'est pas une balance, un équilibre.
Ainsi, pas de risque que la balance bascule, qu'un équilibre soit rompu (et que l'on sombre)
Non, nul équilibre, nul équilibre - pas même un déséquilibre : nul rapport possible, nulle mesure qui entretiendrait l'un par l'autre, qui rendrait possible, qui justifierait leur coexistence et qui expliquerait que l'on survive ou que l'on en meurt
Pas de mesure qui ferait tenir l'un avec l'autre, et nous au milieu. 
C'est seulement là : on quitte le centre, on avance vers les marges, déjà dans les marges, et si ce trajet est possible c'est parce que les marges étaient déjà dans le centre, géographiquement les marges au centre, aussi tout autant qu'ailleurs, peut-être même parfois plus si tant est que possible,  on les aperçoit parfois quand l'opacité de l'air se déchire ,  et alors c'est blême, c'est tout blême, c'est de la lumière, parfois beauté, souvent douleur. 

mercredi 28 juillet 2010

Janis Joplin


Quand j'écoute Janis Joplin, je sens que chanter était pour elle une NECESSITE : c'était son seul moyen de survie.  Sans cela elle aurait été creusée de néant ou minée de violences - ou bien morte, seulement morte.

Je pense que tout "art" ne devrait être exercé qu'à cette condition : qu'il soit pour nous nécessaire. C'est certainement ce qu'entendait Rainer Maria Rilke lorsqu'il écrivait au "jeune poète" qu'il faut se demander si l'on mourrait si l'on ne pouvait pas écrire.

Atteindre la même force dans l'écriture que celle qui éclate avec tant d'évidence dans la voix de Janis Joplin.  Pour parvenir à cette fin, seule importe la première condition, le point de départ : qu'écrire soit pour nous une nécessité.
Toutefois, ceci ne doit pas nous arrêter dans notre élan : nous ne connaissons peut-être pas dès le premier abord (le premier abord à nous-même) notre nécessité.

mardi 27 juillet 2010

Don't panic


A écouter Don't panic de Coldplay et je ne panique plus ,
apaisée , en paix avec moi-même ,
à vivre enfin de moi et non plus du regard des autres
- paix non pas définitive mais plus claire ,
je sais mieux qui je suis et ce que je veux
- ainsi, force calme

lundi 26 juillet 2010


Si l'on écrit que dans la douleur et cesse d'écrire dans la joie, c'est qu'on écrit pour combler un manque :
alors notre écriture n'est pas nécessaire mais accidentelle, contingente.

Quant à moi je ne sais pas encore précisément,distinctement pourquoi j'écris.

Mais je ne peux nier que c'est souvent une béquille, et que mon écriture m'aide moi, non pas les autres.

Ecrire en ligne, c'était m'engager dans la voie d'une écriture pour l'autre, pour les autres

Mon écriture s'en est trouvée indubitablement changée

- souvent cependant, je regrette d'avoir des lecteurs potentiels (lecteurs potentiels qu'en outre j'oublie - il me semble écrire sans lecteurs, ils ne sont souvent que des ombres dont j'ai à peine conscience) :
symptôme d'une écriture encore et malgré tout pour soi.

ce courage-là


Etre en paix avec le monde, ce n'est qu'une hypocrisie bien sûr (et alors on n'est pas en paix avec soi) ; hypocrisie puisque le monde si on le regarde bien dans les yeux et dans le trou du cul est inacceptable.

On blâme celui qui sans cesse (se) tourmente, ne cesse de souligner les angles du monde et fait fi de sa rondeur -

parce qu'on n'a pas soi son courage

courage :

courage de sacrifice,
    sacrifier son "bonheur" pour voir et dire,  et dénoncer,
                                                      être juste et ne pas écarter les victimes des injustices.

moi, pour l'instant du moins, je n'ai pas ce courage-là.

Peut-être pour l'avoir faut-il se sentir soi-même victime d'une de ces injustices - et ce ressenti doit être violent.
Or, si l'on regardait bien, on s'apercevrait peut-être qu'on est tous victimes, et donc victime soi aussi.


Cela devrait suffire à la révolte.  Mais non : on est trop paresseux.

on n'a ni la force d'agir, ni la force de soutenir la peur qui accompagne cette action.

 

les cris c'est très près du silence : parce que tout aussi nécessaire

contre soi pour soi


on cherche : qu'est-ce qui creuse ainsi le ventre, les replis de soi cachés à la lumière du jour, quelle pioche a donc creusé en soi le manque - le manque, d'où vient-il ?
d'un manque de courage :
on sait, bien sûr on le sait, qu'il ne tient qu'à nous de devenir de plus épaisse consistance, de devenir pleine, d'emplir le trou non pas d'un autre mais de soi-même -
seulement, on est feignant et impatient : on voudrait qu'on le remplisse pour nous ce trou, et vite
Cependant, c'est du soi qu'il faut mettre non pas d'un autre -
donc aller à la tâche, ou plutôt : aller au front et s'attaquer

lettre


   mon frère, mon ami,

nulle loi de mariage ne saurait par malheur nous étreindre, nous contraindre.   Quand vous avez regardé la petite fiancée hier, sur le pont, j'ai pensé - oui, c'est seulement avec une fille comme elle qu'un homme tel que vous pourrait passer alliance : ce serait votre couvre-feux, votre garde-fou, elle murmurerait des mots qu'elle ne connaît pas et ainsi vous bercerait dans vos cauchemars et vos nuits sans sommeil - les paupières s'alourdiraient sous le poids de ces mensonges mais soudain, alors que vous aviez cru être sauvé, un mot ferait surgir devant vous le corps aimé, jamais étreint et pourtant maintes fois étreint - alors violent le rêve, et la petite épouse à vos côtés ne pourrait qu'à peine maintenir en vie le corps devenu fou - mais elle y parviendrait, oui, puisqu'il n'est pas encore venue l'heure pour moi de tomber défunte sur votre cadavre.

      J'écris ces lignes et leur rumeur est presque couverte par le ressac des ronflements : mon vieux mari dort encore dans notre lit, dort comme il a dormi toute sa vie.   Un mari plus alerte aurait donné plus de grandeur à notre relation, celle-ci aurait veillé dans le danger et l'on aurait tremblé au moindre bruit de pas.  Alors, pour vous, j'ai pris maints amants, et, chacun s'emboîtant l'un dans l'autre, c'était une menace en chaîne que j'avais créée, un diabolique système de poupées russes destiné à nous mettre en péril, vous et moi.  Mais les amants s'endorment après l'amour - et vous êtes toujours sauf, fou et sauf.  Une nuit j'entraînerai notre amour jusqu'au lit de mon époux ; il sera comme des deux côtés du lit, ronflant, et nous tout au milieu, craignant de jouir trop fort, et jouissant plus fort encore.

      Je vous écrit ces lignes, craignant et espérant que vous ne les receviez pas.  Combien de lettres laissées à notre rendez-vous épistolaire ne se sont-elles pas envolées ? Je fais confiance au vent pour ne vous laisser que les lettres devant être lues -
et il me laisse croire que les mots d'amour les plus défendus ont été par votre plume murmurés (le papier en a certainement crissé) avant qu'il les emporte - vent, vent jaloux quand il ne parvient à souffler que la jupe et que vous lui soufflez la femme.

       Aussi confie-je cette lettre aux caprices du vent, qui décidera de votre lecture et du regard que vous poserez la nuit prochaine sur mes cuisses,  et sur mes lèvres.


Vôtre et jamais vôtre.



dormir pour oublier d'être, une fraction de seconde

la nuit à peine


la tête pleine penchée, volets ouverts, la nuit l'alourdit de ses senteurs de sapin et de lune,

les nuages s'accrochent aux cils et les alourdissent,
pour que les paupières malgré nous se ferment -
un avion de papier trace alors ses sillons bleus et blancs sur les lignes de peau des yeux,
il écrit l'oubli ses formules -
l'ouate des nuages tamponne nos paupières pour désinfecter nos jours et apaiser nos peurs

je dormirai dans ce bleu fait pour les paupières fermées

mais au bout interne des nerfs le poison lance toujours ses appels

- je me réveillerai le lendemain, encore un peu plus fatiguée,
le feu devenu cendre dans les poumons ,
avec les remords en forme de projets-rêves tout prêts à faire mourir leur mère dans sa fausse couche de solitaire.

dimanche 25 juillet 2010

En lisant, en écrivant
  combien ce mouvement est un 

utopie


Ne jamais s'arrêter, non, ne jamais s'arrêter,
dans la fiction où on se place on peut peut-être être sauvé

Seulement, c'est comme dans ces morceaux d'éternité,
ces dessous de mer où l'on vit d'amour,
: quand on sort, le charme tremble et vacille : 
on pose pied à terre et soudain. de cendre noire.
 



s'allonger jusqu'à à nouveau. la rupture.


besoin d'allonger mes muscles jusqu'au plafond ,peut-être alors existerais-je
je serais grand corps phasme aux étoiles levantes
et tous fourmis trembleraient sous mes jambes immenses - trembleraient d'effroi, de bonheur

besoin d'allonger mes muscles jusqu'à la lune ,
de dessiner des rêves du bout des ongles,
qu'on me dise j'y crois, oui, j'y crois à tes rêves, à tes histoires abracabrantesques ,
qu'ils soient de sang et d'or ou de pluie et de nuit, 
j'y crois, oui,
je crois même que j'y suis né dans tes rêves

et alors mille lilliputiens viendraient peigner mes cheveux longs du Gange,
orner ce fleuve de mille broches d'argent,
de galets colorés et de poissons dorés

une chimère de Neptune me dessinerait une queue d'orque qui de mon nombril s'élancerait jusque sous la glace,
la glace d'océan où ce nerf est pris,
pris de froid,
et d'effroi mon sang ne fit qu'un tour
lorsque dans cette glace je vis qu'on m'avait subtilisé mon visage :
mes yeux ne voyaient plus que le tien.

être lié dans la nuit et dans la langue


Dans le noir qui heure par heure remplit toute la chambre,
on voudrait croire que nos nuits ne sont pas liées les unes aux autres, suivant une unique parallèle,
mais sont déliées et peuvent ainsi s'accrocher aux nuits de quelqu'un qui n'est pas soi,
traverser la nuit en diagonale,
crocheter le désespoir d'un autre et lui faire dire notre nom
,dans le noir,

oui rien que ça pour exister et ce serait déjà pas mal

mieux que ce corps de moindre consistance dans ces draps mal dépliés, 
comme les peaux mortes des nuits passées dans lesquelles on se glisse après avoir, quelques heures, joué à vivre

je souffre de ce nom qui ne tient pas , ne tient pas dans la bouche d'un autre, ne serait qu'étranger dans la bouche d'un autre,  quand dans notre propre bouche notre nom n'existe pas, mais les autres noms oui - bien sûr, oui



tellement incapable de moi que j'écris au conditionnel
- tellement insuffisante

dans l'ombre


je me serais approchée un tout petit peu dans l'ombre,
je t'aurais observé depuis la croisée,
ou au coin d'une ruelle sombre,

j'aurais enlevé mes chaussures et j'aurais marché derrière toi,
sur la pointe des pieds,
pas jusqu'à toi, non, (qui oserait ?),
mais presque jusqu'à toi : 
je me serais approchée (on n'apprivoise pas), et tu ne m'aurais pas entendue venir.

dans ton dos j'aurais regardé les perspectives dessinées par ton regard,
j'aurais deviné les gestes que ton ombre faisait pour toi,
et le silence de tes épaules sur lesquelles s'est jetée la nuit serait venu se poser sur mes lèvres,
les incurvant d'une ombre qui a la forme de ton nom.

Peut-être qu'à marcher derrière toi un jour se poseront tes mains sur mes hanches,
et alors je serais au devant de toi, mais tout contre toi, 
et mon ombre ferait les gestes que la tienne ne faisait pas, 
quand tes bras enlaceront mes épaules et mon coeur
et que de ton silence un coup sur la nuque j'en mourrai

déchirée


je suis tellement     en un même temps *    ombre et lumière
que j'en suis comme déchirée    au dedans de moi
et écartelée   entre mes multiples amours  .

* c'est à dire : dans une même mesure

fragments du monde


écrire le nécessaire : l'écriture en serait nécessairement fragmentaire, tant est multiple le nécessaire, tant tant de choses sont successivement nécessaires
- je ne puis écrire que par fragments parce que je laisse entrer en moi le monde dans sa fragmentation,
(le corps se fissure parce qu'au dedans de la roche le gel se dilate, reprend ses diverses formes d'eau)

l'écriture fragmentaire n'est pas nécessairement lapidaire : 
si de l'écriture lapidaire résulte une écriture fragmentaire,
comme le corps en morceaux après les jets de pierre, 
les fragments peuvent aussi se développer en arborescence 
- et ce développement n'est que celui qu'ils portaient en eux,  dans le monde déjà bien sans moi



n'écrire que ce qui nous est nécessaire.  Mais faire en sorte que, par un travail dans la vie, ce qui nous est nécessaire ne soit pas seulement notre petite sphère personnelle.

Donc, travailler la vie, pas l'écriture.


tellement encore toute petite que lorsque j'ouvre les bras il n'y a place que pour une personne à la fois
quel  droit a-t-on de tenir une personne dans ses bras lorsqu'on ne sait pas embrasser le monde ?


et comme j'en dis toujours tellement trop, même quand je crois me taire

je me serais faite celle -


je me ferai(s) toute simple, je me ferai celle pour la vie,
cette petite fille faite pour la vie, tu sais bien, celle dans les albums en couleurs,
mais qui a une tache sombre au fond des yeux.

je me ferai la fille au sourire silencieux et qui t'emmène sur les ponts, et dans la mer,
je me ferai la fille qui ne comprend rien mais qui sait tout,
qui a le savoir inné de la vie, de la nature, du silence.
des choses simples. de ta douleur.

celle qui ne dit rien et qui t'emmène.

parce que comme ça aussi la nuit peut tomber sur la nuit, 
le jour sur le jour,
et dans tes yeux toujours pâles.

sur ton dos je ne lirai pas le monde je fermerai les yeux.
nulle trace de ma voix sur toi,
je serai celle faite de verre et transparence pour ne pas te souiller.

parce que tu es tellement fragile, tellement essentiel,

tellement que le monde pourrait bien se passer de tout

qu'on pourrait bien se passer du monde aussi

parce que tu es toi figé là

(et que moi je te regarde sans te blesser :

le droit de la fille simple, le droit pour l'éternité de celle qui a su se taire : c'est rester là à te voir)


j'ai tellement peur


les écritures nécessaires (profondes) sont rares

Je pense que de très nombreuses écritures sont superficielles.

Le Journal du Séducteur, c'est fin, c'est du divertissement.

(à peine peut-on apercevoir dans l'abîme de cette nécessité de se divertir - le jeu du narrateur, et à travers lui le jeu du lecteur - un trouble, une douleur, des bras ballants face à la vie, une incapacité à se mouvoir en elle , une bouche bée, des yeux pleins d'effroi



et je crie encore plus tellement je sens qu'il me faut me taire, 
que je veux me taire

- parfois crier c'est ma façon de me taire


suis sidérée : trop immense tout ça et moi trop petite


tellement incapable que je m'en veux


je suis une pierre qui par moments se prend pour une femme


je suis encore trop jeune peut-être, trop stupide

ma langue fourche et je brasse l'air les bras en tout sens à tout va

et c'est ma vie qui s'en va à l'eau,
c'est moi que j'évacue, 
à vau-l'au je déguerpis ,
tout fout le camp.

à l'envers


Suis comme à me tuer toujours, moi bouche perpétuellement trop grande ouverte quand bien même il n'en sort que des bulles de silence,
toujours à me taire et pourtant quand il faudrait se taire je parle et trop et trop

et suis pétrifiée pétrifiée d'effroi 

devant

je sais que je fais tout à l'envers

que je fais ce que je ne suis pas devant celui qui est et fait ce que je suis
(je lui dis même l'inverse de ma parole la plus nécessaire - la seule qui serait digne de s'adresser à lui.  mais devant lui je tombe, toute indignité)

et cela ne suffit pas qu'il fasse ce que je suis : c'est laisser à lui-seul ce fardeau

lui laisser croire qu'il est seul à être seul et être seule à savoir qu'on est avec lui (avec lui seulement parce que comme lui, non pas parce qu'on parlerait)

Je tremble dans les brumes silencieuses et l'éclair m'a foudroyée sans tonnerre l'annonçant

voudrais seulement rester petite forme inerte sur la terre,
inerte et grise,
grise-terre, grise-terre, 
et que tu me piétines et trébuches,
tombes dans ma terre, meures dans ma terre, meures dans ma mort même comme je meurs dans la tienne.




et la vie peut ne pas être seulement la négation de la mort - encore moins simple négatif


mise à jour de "La mort exaltante"

pas d'amour sans liberté


"(...)
Son développement doit se faire en elle-même ; elle doit se rendre compte du ressort de son âme, elle doit s'essayer à soupeser le monde. Ce qu'elle a à dire et ses yeux me montrent aisément les progrès qu'elle fait ; une seule fois j'y ai aperçu une rage d'anéantissement. Il faut qu'elle ne me soit redevable de rien ; car elle doit se sentir libre, l'amour ne se trouve que dans la liberté, et ce n'est qu'en elle qu'il y a de la récréation et de l'amusement éternel. Car bien que je vise à ce que par la force des choses, pour ainsi dire, elle tombe dans mes bras et que je m'efforce de la faire graviter vers moi, il faut pourtant aussi qu'elle ne tombe pas lourdement, mais comme l'esprit qui gravite vers l'esprit. Bien qu'elle doive m'appartenir, cela ne doit pas s'identifier avec la laideur d'un fardeau qui pèse sur moi. Elle ne doit pas plus m'être une attache au physique qu'au moral une obligation. Seul le jeu propre de la liberté doit régner entre nous deux. Elle doit être assez légère pour que je puisse la prendre à bout de bras".
(dans les notes du 7 juin  -  Journal du Séducteur, Kierkegaard).

Abandon


JB, je note pour toi, de façon neutre, sans commentaire, ce qu'a écrit Soren Kierkegaard au sujet de l'abandon dans la jouissance (ou plutôt de la jouissance dans l'abandon) - ceci étant écrit dans un roman (Journal du Séducteur) : 

" (...)
Mais il y perdra une jouissance ; car il ne jouira pas de la situation, puisqu'il s'y trouve englobé lui-même, caché en elle. Il est difficile de dire ce qui est le plus beau, facile de dire ce qui est le plus intéressant. Mais il est toujours bon de serrer la ligne d'aussi près que possible. Au fond c'est la vraie jouissance et quant à celle des autres je l'ignore certainement. La simple possession n'est pas grand-chose, et les moyens dont se sert cette espèce d'amants sont généralement assez médiocres ; ils ne dédaignent ni l'argent, ni le pouvoir, ni l'influence d'autrui, n i les somnifères, etc. Mais l'amour est-il une jouissance s'il ne comporte pas l'abandon le plus absolu, c'est-à-dire d'un des deux côtés ? mais pour cela il faut en général posséder de l'esprit, ce qui manque d'ordinaire à ces amants-là."
(dans les notes du 16 mai)

"Plus on apporte d'abandon dans l'amour, plus l'intérêt augmente. Cette jouissance de l'instant est un viol, en un sens spirituel, sinon en apparence, et dans un viol la jouissance n'est qu'imaginaire, elle est, comme un baiser dérobé, quelque chose qui ne vaut rien. Non, si on peut obtenir d'une jeune fille qu'elle n'ait qu'une seule mission pour sa liberté, celle de s'abandonner, qu'elle reconnaisse dans cet abandon son suprême bonheur, et qu'elle l'obtienne presque à force d'insistances, tout en restant libre, c'est alors seulement qu'on peut parler de jouissance, et pour y arriver l'influence spirituelle est toujours nécessaire."
(dans les notes du 30 mai)

samedi 24 juillet 2010

La mort exaltante


sans mort donc : démantèlement de la structure , disparition des bornes.

et on aurait plus de quoi : de quoi organiser sa vie, autour de quoi l'organiser, la structurer.

Sans bornes, nul axe possible, nul centre autour duquel - et vers lequel - regarder.

la vie éclatée  :  et les yeux, donc, les yeux révulsés

si large, si large, la vie non bornée par une mort

la vie sans limite

à en devenir fou - et ceux qui survivraient auraient la vie exaltante

exaltante - plus haut que quoi ? plus haut que tout puisqu'il n'y aurait pas de borne

plus haut que la vie même, et plus haut que la vie même, n'est-on pas mort ?

ils criseraient de douleur, magnifique, splendide
jouissance et douleur, point d'intensité où la vie et la mort se rejoignent

la vie exaltante : la mort exaltante

identité de l'un de l'autre

dans une parfaite réflexivité

la mort exaltante - plus haut que la mort même, n'est-on pas vie ?


- Sortons de ces délires esthétiques :

Oui, de l'absence de mort on mourrait, du fait de cette exaltation sans borne provoquée par le démantèlement des bornes -

Mais ce n'est pas de cette nouvelle mort que l'on vivrait - non, nulle vie

C'est de la première mort que nous naissons,

de la mort simple borne (et non pas culminance délirium suscité par la dissolution de la mort) notre vie est possible

: la mort serait donc finalement ce qui nous tient en vie.

L'éternité nous mettrait à mort, éternellement à mort, hors de temps et sans vie aucune,
la mort nous donne à la vie et la donne à nous. - pour instant, et parce que pour un instant.



jeudi 22 juillet 2010

Architecture déserte


Dans tout le grand monde et tout le grand paris, j'ai trouvé un petite salle blanche, plus ou moins un cube, aux murs troués par des images. Ces images sont les pensées à demi-formulées d'un homme - combien elles me le rendent pour une première fois familier.  Jérémy Liron peint l'architecture, les blocs énigmatiques des villes - ces tours et ces structures, dressées comme des énigmes et semblant n'être nées de nul esprit humain, de nulles mains humaines : plutôt là comme depuis toujours, et inhumaines : ainsi, elles nous renvoient à nous-mêmes. Dans la solitude.

Et pourtant, parce qu'on voit ici, de l'intérieur d'un cube, ces architectures lisses (lisses, même lorsqu'elles sont décrépies : sans empreinte humaine) à travers le regard d'un autre, celui de Jérémy Liron, on n'est plus seul face à elles.

L'impression d'étrangeté n'en est pas amoindrie - 

elle l'est d'autant moins qu'à l'évidence étrange des bâtiments peints fait écho l'évidence étrange des murs blancs de cette pièce presque vide.

Ce n'est par ailleurs pas parce que nous sommes plusieurs à voir l'étrange que celui-ci en est dissout : au contraire, il s'en voit confirmé (nous nommons l'étrange et l'étrange nous nomme ainsi - l'étrange a envahi-).

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Dans le reflet d'une des peintures, aux immeubles blanc cassé et troués de noirs, je vois soudain un grillage.    Ce n'est que celui peint sur le tableau d'en face, auquel je tourne le dos. Mais combien ce grillage semble de plus épaisse matière à travers le filtre de deux peintures qu'à travers celui d'une seule - combien je le vois à présent.
Peintures qui révèleraient à notre vue ce que l'on voit chaque jour.

Pourtant, je ne vis dans cette salle aucune révélation : mes yeux sont eux-mêmes peinture, aussi suis-je habituée à voir le monde à travers ce filtre.

Seulement, je ne peins pas exactement comme Jérémy Liron, même avec mes seuls yeux. Ainsi puis-je avoir ici le surplus d'expérience donné par le fait de voir par les yeux d'un autre. J'entends sa voix calme
(en souvenir de cette vidéo - http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article367)
Et je veux bien rester ici quelque temps à regarder et à écouter.  A mon calme froid s'ajoutera le calme froid de Jérémy Liron, comme s'y est depuis longtemps ajouté le calme froid de l'architecture déserte des villes nouvelles.




Pourquoi toujours tant de difficulté à quitter le jour qui lui nous a déjà quittés ?
non pas peur de rejoindre mais peur de quitter.
ou pas peur mais désir, désir qui ne sait vers où se tendre.
et alors les mains cherchent dans le noir | on se refuse à l'abandon
- jusqu'à plus de force on reste éveillé, les yeux écarquillés dans le noir -
et ce n'est qu'avant d'enfin céder que l'on expire ces quelques seuls mots :
lorsqu'on a déjà perdu la lucidité qui permettrait de véritablement chercher.

mardi 20 juillet 2010

SORTIR (et même en revenant on ne revient jamais)


Cet instant de la jouissance, fragment d'éternité où l'on est soustrait au monde

Ces quelques secondes où l'on jouit, on l'ignore.  C'est après seulement, on se réveille comme d'un long sommeil, et nous découvrons que nous avons été absents au monde le temps d'une éternité.

La jouissance donc : disparaître.

Ce que l'on appellerait jouissance serait le moment où l'on ne serait plus - quelle plus grande jouissance que de n'être plus au monde, de n'être plus que vapeur de nulle matière, évanescence, évanouissement ? 

Ainsi, notre jouissance est une mort éphémère au sein de laquelle nous expérimentons avec délice l'éternité de la mort.
(toute disparition a un goût d'éternité)- en disparaissant du monde nous sommes jetés hors du temps : alors ces quelques secondes de jouissance ont non seulement été une éternité, mais le sont toujours, et pour avoir découvert un instant notre disparition, nous en avons la connaissance éternelle - pas seulement la connaissance mais l'être : après notre première disparition, même en revenant au monde, nous en sommes irrémédiablement et éternellement soustraits. 

Eros et Thanatos ne sont pas seulement liés : ils sont les deux noms d'un seul instant, d'un seul non-temps. 

Cette jouissance, cette mort, nous est donnée par une violence qui est celle de l'épée et du feu ,
violence si dure à s'infliger à soi-même , impossible peut-être :
il faut que l'on nous aide à mourir , à enfoncer la lame jusqu'au coeur et à brûler les pieds (jusqu'au crâne).


Seul, nous nous arrêtons à l'aube de la mort -

si un autre nous tue, nous pouvons nous enfoncer plus loin dans la mort, plus loin que la mort elle-même

ce plaisir est une telle douleur qu'il doit nous être imposé.




L'homme vit seul mais ne peut mourir qu'à 2.




lundi 19 juillet 2010


article (from Tresor) :

1) (Premières attestations : fin XIIe, XIIIe siècle) 1256 : chacune des dispositions dont l'ensemble forme un statut, un traité, un contrat.

a) 1408 : articles de foi : croyance à laquelle les chrétiens sont obligés d'adhérer

b) Fin XVe : division d'un écrit

c) 1690 : chose particulière (marchandise, etc)

2) (Premières attestations : fin XIIe, XIIIe siècle) : circonstance, conjoncture
 ...

Il ne s'agit pas de savoir
quel mot peut venir après le précédent

mais de savoir :
quel mot seul peut venir après le précédent


(et tout l'article)

Peer Gynt


Peux-tu dire où était Peer Gynt tout ce long temps ?

Où il était, ayant le signe, sur son front, de sa destination ? Où il était, lorsqu'il jaillit de la pensée de Dieu ? Peux-tu le dire ? Sinon je dois rentrer - et descendre au pays du brouillard.


Dis-moi ce que tu sais !
Où étais-je, moi-même, moi tout entier, moi vrai ?
Où étais-je, le sceau de ce Dieu sur mon front ?


Solvejg :
Dans ma foi, dans mon espérance, dans mon amour.


Peer Gynt :
Que dis-tu ? Tais-toi ! Tu dis les mots qui trompent.
De l'enfant en moi tu es donc la mère ! 


Solvejg :
Je la suis, je la suis, mais qui est son père ?
Celui-là qui pardonne lorsque la mère l'en prie.


Peer Gynt (une lumière se fait en lui, il s'écrie) :
Ma mère, mon épouse, la femme sans péché !
Cache-moi, cache-moi, cache-moi tout en toi !


Il s'accroche à elle et enfouit son visage dans son giron.
Long silence. Le soleil se lève.


Solvejg (elle chante doucement)
Je te bercerai, mon enfant chéri,
     je te veillerai.
L'enfant s'est assis sur mes deux genoux
     et nous avons joué.
L'enfant a dormi sur mon sein très doux
     les jours de sa vie.
L'enfant a dormi, serré sur mon coeur,
     il est fatigué.
Je te bercerai, mon enfant chéri,
     je te veillerai.


Je te bercerai, je te veillerai - 
                   rêve, mon enfant. 


(Et ton absence s'endort tout contre mon esprit.)

Solvejg


Tu me demandes : quand donc ai-je été Paul, moi Paul, quand donc ai-je été celui que je suis ?

Je te réponds : c'est bien simple :

Tu as été

dans ma foi, mon espérance, mon amour.

Maintenant, dors mon tout petit, dors...

Toute la longue journée de la vie, nous l'avons passée à jouer, à rire, à danser,

Maintenant, dors mon tout petit, dors

Je dis cela, 

et Ton Absence s'endort tout contre mon esprit.


Esther


Cher Paul, 

Je viens de lire Peer Gynt dont tu m'avais tellement parlé.

Encore une fois, j'ai fini la pièce d'Ibsen en larmes,  
tu m'aurais détestée.

Mais que veux-tu, je suis  comme ça.


samedi 17 juillet 2010


Peer Gynt, Acte V, Scène 6 :

Feuilles fanées :
"(...)
Le ver, le ver nous ronge
dans nos moindres replis
(...)"

Et on peut lire :
"(...)
Le vers, le vers nous ronge
dans nos moindres replis
(...)"


Peer Gynt : la littérature qui a fait échouer la vie ?
...à chercher ailleurs que là où l'on a... 
mais comment savoir - comment savoir autrement qu'en cherchant - qu'en perdant ?


On est que des pelures, pas de noyau,
pour une fois Peer Gynt s'approchait pêut-être du vrai (de rien, nul noyau).
Que des oignons, et pas de quoi pleurer.


avec vos âges sensés être du savoir
mais toutes ces rides, ce n'est pas le visage du savoir, 
c'est de la pourriture amassée sur elle-même, 
de la connerie qui s'est amassée plis par plis à force d'être engraissée,
et sur votre crâne lisse, ce qui sidère n'est pas la dimension exubérante du cerveau, non,
mais l'immensité du vide


Les meilleurs sont à peine moins pitoyables qu'à quatorze ans


on peut seulement tirer notre chapeau à ceux qui ont réussi à s'arranger avec la vie, c'est déjà pas mal, et ils sont pas nombreux



fini


c'est bon je ne crois plus à vous à votre littérature soi-disant
soi-disant nécessaire
alors que vous ne faites que du beau d'apparat avec votre laid

eh bien je crache dessus sur votre laid d'apparat, pardon, votre beau d'apparat,
je crache, je crache,
parce que vous me dégoutez avec vos rythmes grandiloquents et vos mots pas pour les ignorants

qu'on fasse profil-bas et qu'on se taise,
on est déjà bien assez laids comme ça,
pas la peine d'en rajouter avec nos poudres et nos éclats - ils ne font que nous enlaidir

je vous laisse à vos mots soi-disant de terre et de merde, mais en fait de verre, de poudre et d'or, 
de poudre d'or - vos tocs dégueulasses

faites heurter vos langages, qu'on voit combien vous boitez,
incapables de vous arranger avec la vie,
tellement incapables que j'vous en veux

(s')étouffé


De quelque point où l'on se trouve, les perspectives ouvertes à notre vue peuvent nous étouffer.

Dans les terres j'étouffe, horizon borné par les terres, je veux voir la mer.
Sur la rive des mers, j'étouffe, je me sens reclus à la terre, assigné à une île.
Sur les mers j'étouffe, horizon borné par les mers, nul sol pour poser un premier pas de liberté, et l'horizon n'est que perpétuellement le même, renouvellé toujours par les mêmes vagues, nécessairement, chaque heure chaque instant la même la même.

Où que je sois je suis toujours le même : j'étouffe.


(et hors atmosphère l'étouffement sera le même)



Pendule, et chute


Tous ces quartiers de Paris dans lesquels j'ai envie d'être plus encore.  Il faudrait que j'y dorme pour y être. Que j'y écrive, la nuit aussi.

Le métro c'est comme des trouées dans la ville - comme moi je la troue, la traverse, invisible seulement.

Je n'ai pas édifié de tour dans la ville, 
pas la moindre chambre qui connaisse ma tête chaque nuit, sur l'oreiller.
La ville ne me connaît pas, je ne suis pas de la ville. 
Ma solitude arpente ses rues pourtant, et en cela je suis comme ces vieillards millésimes, fossiles des villes à la mesure desquels se mesure l'âge des sables.

Et la Seine, cette jetée de bleue à mes yeux, comme je l'aime.


Il ne s'agit ni de partir ni de rester.
Opérer des trouées de part en part,
et en travers encore. Peut-être.

A coups de burin ouvrir la ville, 
ouvrir des brèches dans la ville

Ne rien en attendre

Seulement l'étonnement qu'un soir recouvre un soir, 
et ainsi de suite.    Et soi toujours à le regarder.

Paris; on n'y est pas; et pourtant c'est le temps de soi par secousses.  Chaque station porteuse d'un souvenir. 
Un baiser, un meurtre.
Et peu à peu les souvenirs s'empilent. 
Et peu à peu le souvenir est souvenir d'un autre souvenir, lui-même superposé à un passé plus passé encore.

Qu'est-ce qui nous reste ?

Et cette phrase même est souvenir d'un film,
non,
d'un monologue de théâtre,
Alors on mange à même la boîte,
Et chaque anorexie est le souvenir de ce verbe-là,
                                                             de ce geste-là,
Et chaque fois que meurent en moi les liens (si souvent)
Que je me jette à l'océan des foules vides, et pleines, et moi si vide,
Oui chaque fois, chaque fois rien.

Et le son du vent celui des mouettes qui le battent,
mais bientôt devenu celui des trains qui le laissent en arrière,
et on s'en retourne,  pour aller à nouveau,  le lendemain,
le lendemain seulement.