lundi 26 juillet 2010

lettre


   mon frère, mon ami,

nulle loi de mariage ne saurait par malheur nous étreindre, nous contraindre.   Quand vous avez regardé la petite fiancée hier, sur le pont, j'ai pensé - oui, c'est seulement avec une fille comme elle qu'un homme tel que vous pourrait passer alliance : ce serait votre couvre-feux, votre garde-fou, elle murmurerait des mots qu'elle ne connaît pas et ainsi vous bercerait dans vos cauchemars et vos nuits sans sommeil - les paupières s'alourdiraient sous le poids de ces mensonges mais soudain, alors que vous aviez cru être sauvé, un mot ferait surgir devant vous le corps aimé, jamais étreint et pourtant maintes fois étreint - alors violent le rêve, et la petite épouse à vos côtés ne pourrait qu'à peine maintenir en vie le corps devenu fou - mais elle y parviendrait, oui, puisqu'il n'est pas encore venue l'heure pour moi de tomber défunte sur votre cadavre.

      J'écris ces lignes et leur rumeur est presque couverte par le ressac des ronflements : mon vieux mari dort encore dans notre lit, dort comme il a dormi toute sa vie.   Un mari plus alerte aurait donné plus de grandeur à notre relation, celle-ci aurait veillé dans le danger et l'on aurait tremblé au moindre bruit de pas.  Alors, pour vous, j'ai pris maints amants, et, chacun s'emboîtant l'un dans l'autre, c'était une menace en chaîne que j'avais créée, un diabolique système de poupées russes destiné à nous mettre en péril, vous et moi.  Mais les amants s'endorment après l'amour - et vous êtes toujours sauf, fou et sauf.  Une nuit j'entraînerai notre amour jusqu'au lit de mon époux ; il sera comme des deux côtés du lit, ronflant, et nous tout au milieu, craignant de jouir trop fort, et jouissant plus fort encore.

      Je vous écrit ces lignes, craignant et espérant que vous ne les receviez pas.  Combien de lettres laissées à notre rendez-vous épistolaire ne se sont-elles pas envolées ? Je fais confiance au vent pour ne vous laisser que les lettres devant être lues -
et il me laisse croire que les mots d'amour les plus défendus ont été par votre plume murmurés (le papier en a certainement crissé) avant qu'il les emporte - vent, vent jaloux quand il ne parvient à souffler que la jupe et que vous lui soufflez la femme.

       Aussi confie-je cette lettre aux caprices du vent, qui décidera de votre lecture et du regard que vous poserez la nuit prochaine sur mes cuisses,  et sur mes lèvres.


Vôtre et jamais vôtre.


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