vendredi 5 novembre 2010

Arrêt sur regard


J'admirais (une fois encore) la beauté de la feuille d'un arbre (d'un arbuste cette fois-ci) - et soudain je compris que mon émotion n'était pas mue seulement par la beauté de cette feuille mais également par le signe* de nature qu'elle était (et, en tant que signe, elle n'est pas fragment de la nature, encore moins synecdoque, mais elle est la nature toute entière - elle contient en elle toute la nature et elle l'excède en cela qu'elle est, au contraire de celle-ci, matérielle) : ainsi, si j'eûs exactement le même objet sous les yeux mais que je le sûs artificiel (de tissu par exemple) il n'eût suscité en moi aucune émotion (ou du moins, l'émotion fût moindre).

*Signe, c'est à dire, conception de mon esprit : c'est moi qui décide de voir en cette feuille la nature entière.   Ainsi, c'est donc de moi-même que je suis émue ; ou plutôt : par moi-même.

Je recquiers divers objets pour pouvoir les transfigurer, pour avoir matière à transfigurer - les choses sont des interfaces entre moi et moi-même ; interfaces nécessaires car je dois avoir matière à transformer (/ou peut-être : car je dois croire sortir de moi).
Les objets extérieurs sont comme la surface d'une eau qui permet de transfigurer mon visage, mon corps, par le reflet troublé ("bouleversé"?) que j'en aie.
Pourtant ce n'est pas moi que je veux voir.
Mon regard se porte sur les choses et les transfigure pour que je puisse voir ce que je désire voir : par exemple, la nature.   Le fait que ces choses (que je fais signes) me soient extérieures me permet de me laisser tromper par l'illusion dont je suis l'auteur, ou plus exactement, le regard.

CEPENDANT : après cette découverte de mon illusion, mon émotion n'en est en rien affaiblie. C'est que, lorsque je touche cette feuille, je sens sa chair entre mes doigts : elle est bien un corps vivant extérieur à moi et cela suffit à me faire pleurer de joie. Je ne me l'explique pas.

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