mardi 19 octobre 2010

Apnée

apnée de plusieurs mois. apnée de toute une vie. plus d'espace pour respirer. se contraindre à ne pas écrire parce que le temps presse et parce qu'on veut le temps. : décidé de ne plus écrire dans la précipitation. l'urgence. décidé de monter projet . projet d'une ville en construction. chantiers. chantiers d'une ville aux carrefours, carrefours, carrefours. je veux parler des rues, de ceux qui font les rues de leurs pas de leurs arrêts de leurs cris de leurs silences. mon espace d'écriture était tout petit tout petit cercle de fer autour de moi moi moi. ai décidé d'ouvrir mon espace aux autres. mais pour cela il me faut le temps : de penser. ne plus s'en tenir à l'écriture du corps, du senti. or, n'ai pas encore le temps. alors, j'écris de moins en moins, respire de moins en moins.
suis en apnée avant la respiration.mais après l'apnée – la mort ?
quand aurai-je la place pour mettre de l'air autour de moi ? pour respirer le même air que les autres ?
souffre de ne plus avoir d'espace partagé pour écrire. quand j'écris aujourd'hui cela reste dans mon traitement de texte : comme si rien.comme si cela n'existait pas.aussitôt évacué.ou plutôt gardé là sous cape sous silence.

deviens abrutie.jamais le temps de prendre le temps:prendre le temps pour penser,lire,écrire.penser les liens,penser les autres.

terrifiée et si je restais stupide? moi déjà toute petite,déjà ne sais faire que sentir,ai jamais rien su d'autre que sentir et regarder(n'ai jamais pensé)-alors si finalement rien.je vous regarde vous parlez tous une langue étrangère et moi je reste l'horreur putride de ce monde,horreur stupide putride.Vous,vous pensez vous vous approchez des grandes vérités avec vos petites mains et moi je ne suis même pas la terre sous vos ongles.vous vous approchez vous vous battez boue engluée au coeur et moi reste très clean dans les murs cimentés de la ville-gouverneur.moi même pas capable de faire la révolution.de résister. Moi qui ne m'approche de nul langage,de nulle pensée.
donnez-moi le temps pour apprendre votre langue,pour vous rencontrer
je ne suis pas totalement mauvaise
veux venir gratter la terre moi aussi -petite Antigone Comme Antigone je sors cinq heures du matin pour pieds nus dans la rosée marcher embrasser l'écorce la terre devenir sale du monde et pierreuse - les rosées comme des larmes des larmes
Je dois apprendre les heures suivantes d'Antigone : comment résister à la tombée du jour venir gratter la terre et tout le jour ne pas répondre à Ismène être tendre avec nounou
Devenir résistance : pour cela princesse avoir le temps de regarder l'horreur bien dans le trou des orbites vides
Donnez-moi le temps de vous respirer de vous sentir humer l'air de vos cheveux empoussierrés de vent
Je prendrai le temps d'apprendre votre alphabet donnez-moi seulement la respiration
permettez-moi d'avoir le temps
si l'on me donne le temps de trois respirations j'apprendrai trois lettres et m'approcherai un peu plus de vous
Je veux construire ma ville pour rencontrer - vous rencontrer
ai ouvert les yeux sur vous vous tous mais n'ai plus de sang pour irriguer leurs vaisseaux et deviens aveugle yeux bientôt éclatés et y aura pas même du sang sur la terre puisque la terre n'a pas connu la matière de mes doigts de mes paumes
Laissez-moi être hors pour respirer, dehors avec le vent et les rencontres, les mots et les pierres
grandirai j'accepterai de grandir d'affronter de courage je suis déjà de toute de force crispée mais être forte dans l'élan l'élan de la respiration

Laissez-moi le temps pour respirer respirer et alors mon souffle ira vers vous

et je ne serai plus le petit matin d'Antigone,plus seulement le petit matin d'Antigone serai toute la journée de toutes les Antigones et des Ismènes et des nounous et des rois-oncles et des oedipes et cadavres troués aveugles

deviendrai même pas grande fille deviendrai le monde car deviendrai plus rien plus moi (presque plus moi:il faut être encore un peu soi pour rencontrer et la folie qui m'accable ce soir encore ne me fait pas tout à fait oublier cela)

telle propension à devenir folle ne pas respirer dangereux pour mon irrigation crânienne et alors risque de devenir folle dans l'acte pour l'instant sens juste les 60°à l'intérieur du corps et l'apnéel'apnée

2 commentaires:

  1. "... ne plus écrire dans la précipitation."

    Précipité : dépôt qui se forme au fond d'un récipient lorsque se produit la séparation entre un corps et le liquide où il était dissous.

    Rien d'autre ne me vient que cette idée évidente : votre écriture vous recompose.

    C'est sûrement idiot, mais ça s'impose...

    Je ne sais pas ce qu'il me fait ce texte. Quelle est la nature du trouble qu'il provoque, je veux dire, mais ça bouscule furieux !

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  2. me redonne corps ? me redonne à mon corps ?
    oui, sûrement

    mais voilà, c'est par là que l'on commence (et ce début n'est pas à achever),
    mais ce n'est pas seulement par là qu'il me faut continuer

    je voudrais aussi que mon écriture me redonne à ma pensée, ou me donne la pensée (les pensées) que je n'ai pas encore

    et surtout : je voudrais que mon écriture me donne aux autres

    que l'écriture ne soit pas seulement un exutoire, lieu des nécessités, comme des nécessités excrémentielles,

    que l'écriture soit un travail, pour ce qu'elle impose de souffrance et non seulement de soulagement,
    pour ce qu'elle impose de sacrifice de soi pour l'autre,
    pour ce qu'elle impose de temps pris sur le temps
    et de pensée arrachée au corps (comme de corps arraché à la pensée)

    Que l'écriture soit un corps en gestation, un corps qui se forme lui-même, et non seulement une extension du corps au-delà de ses limites musculaires

    Je ne veux pas que l'écriture soit facile
    je veux faire l'écriture difficile

    Non par plaisir de souffrance (on en a déjà bien assez), mais par devoir de travail, par souci d'autrui

    ne pas se contenter de faire exploser les rues,
    construire des rues, pour qu'on puisse s'y mouvoir,
    et qu'importe si ces rues disparaissent le lendemain, à la seconde qui succède,
    pourvu que sur les murs se soient profilées d'autres ombres que la mienne.

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