vendredi 29 octobre 2010


Si tout du long de mes jours de mes nuits je fraye, enfonçant la terre des ongles en sillons
[étant, comme l'amoureux, "dis-cursus", c'est à dire, "originellement, nous dit Roland Barthes, l'action de courir çà et là, ce sont des allées et venues, des "démarches", des "intrigues". L'amoureux ne cesse en effet de courir dans sa tête, d'entreprendre de nouvelles démarches et d'intriguer contre lui-même."*]
Si tel l'amoureux je travaille à épuiser le souffle qui me travaille, dans une course que la plupart du temps j'ignore, dans une course qui n'a ni sens ni direction - nulle autre direction que l'épuisement,

C'est que je tends à rejoindre |

Si je cours au-devant des jours et des nuits , au-devant de ce temps qui entend me donner le rythme mais échoue ,
si je donc je cours dans mes nuits dans mes jours échouant sur les rivages de l'aube le corps naufragé et tremblant

Si les mouvements comme danser [et la danse parfois laide] parce qu'on a depuis longtemps refusé de faire prendre à son corps une direction 
parce qu'il est bien entendu que l'on rompt à chaque seconde avec les schémas organiques qu'ils ont faits pour nous -et comme bâtis de l'intérieur ont-ils cru-

Si l'on court en étoile anarchique plutôt qu'en flèche, en comète perdue loin des planètes et de l'espace géoréférencé des systèmes de l'univers,

Si je. cours. si je cours et vous qui me voyez au bord du trottoir vous qui ne passez pas le pas, vous qui stupéfaits voyez un être de chair sans schéma organique, sans schéma
faire vibrer les étoiles de l'air parce qu'à le chercher de la bouche elle s'épuise et souffle
,ô souffle qui fait trembler les poussières invisibles de l'air,
Vous qui stupéfaits ricanerez lorsque revenus de votre stupeur atemporelle vous devrez recouvrir la découverte et vous en protéger

Vous n'avez qu'un pas à faire, de l'autre côté du trottoir, passer de l'autre côté du trottoir.

Encore une fois je m'égare : les discours : dis-cursus : c'est, originellement, nous dit Roland Barthes, l'action de courir çà et là, ce sont des allées et venues, des "démarches", des "intrigues"
l'écriture aussi c'est ma danse sans schéma organique

Si tout du long de mes jours de mes nuits je fraye, enfonçant la terre des ongles en sillons, de la pointe du stylet et du pied tendu et ourlé,
Si je fraye tel un monstre souterrain furetant dans la terre sans y voir creusant des galeries sans sens et peut-être n'y a-t-il aucune galerie derrière soi après tout,
on ne sait pas

Si je fraye en tout sens sans sens de mes ongles, du pied, du stylet,

Si tant de mouvements je cours et je m'épuise,

C'est que je cherche à rejoindre |


            Rejoindre quoi ?     Rejoindre ce qui seul se rejoint : l'image immobile.


Si jamais tu me voyais courir jusqu'au bord de l'épuisement, là où les aubes éblouissent et l'on ne peut plus voir, 
il faudrait que tu saches :

Si je cours tant gesticule remue-ménage c'est que je cherche à rejoindre : l'immobilité.

Tant de mouvements de tensions de vitesses pour : immobile.


Cette immobilité m'est antérieure. elle est aussi au bout, certainement, de quoi je cours.


Cette immobilité ne m'est absolument pas antérieure, absolument pas à venir.

Elle ne viendra jamais ne fut jamais. Elle est là de tout temps de toute Eternité.


Voilà que je pars encore avec en tête des Désastres** qui sont comme la nuit noire partout autour de vous et de tout temps

Il ne s'agit pas de cela. pas précisément de cela.

Reprenons notre course.


Si jamais tu me voyais courir il faudrait que tu saches.


Je cours toujours mon corps en étoile sans schéma tendu à rompre gorge


Si je cours tant c'est que je cherche à rejoindre | quoi ? l'immobilité.

Cette immobilité est la grande image qui fait tenir mon corps comme une carte et le déploie

Cette image c'est tout ce que je sais [elle annule tout savoirs]


Je cours chaque jour j'arrache avec les dents ces écrans animés de toile de fausse toile ces écrans aux couleurs en fuseaux qui me jettent me projettent dans un mouvement qui n'est rien tellement absolument rien 
ces écrans ces toiles de cinéma ne font qu'eux s'interposer entre moi et mon image ma grande image immobile


J'oublie souvent que je cours pour l'immobile.


Il est clair cependant que je cours pour l'immobile.


Ma grande image immobile est une absolument une.

Elle m'apparaît cependant sous des figures changeantes 

Ma grande image c'est tout le savoir qu'il y a en moi (c'est tout ce qui me dépasse et n'est qu'à l'intérieur de moi),
souvent pourtant je l'ignore - 

De rares fois toutefois, sans que je puisse en connaître la cause qui provoque, une de ses figures surgit et fait sentir à mon corps sa présence

l'image m'apparaît alors dans un rêve, dans une crise de larmes ou dans un texte, très court.

Que des rêves et que des textes qui sont autant de crises de larmes.

Car il est évident que cette image immobile est de la même nature que les larmes. j'ignore l'analogie exacte qui les mesure l'une à l'autre - mais il est évident qu'elles ont à voir avec le même.

Les figures surgissant l'image marquent mon coeur d'une étreinte très profonde, d'une empreinte très profonde -
l'image ainsi, ne se manifestant à moi-même que de rares fois dans une vie, ne se fait jamais tout à fait oublier.

Je vis dans le souvenir de ces figures. Ces figures comme autant de souvenirs de ce qui est toujours présent et que j'ignore. l'immobile.

l'immobile parfait. Car il est entendu que le parfait est l'immobile.


c'est d'une empreinte si forte.toutes ces larmes.
ce sont les larmes qui creusent en moi ces petites cavités invisibles de ceux de loin
et qui font sentir terriblement la sécheresse des courses infatigables 


cette image,il faudrait que je ferme les yeux pour figer un instant une figure,
l'une de ces figures dans lesquelles elle m'apparaît {
sous toutes ses figures il est entendu qu'elle est toujours la même.

elle est d'une parfaite douleur
d'une douleur entière
immobile 
tellement claire

elle est de ce rêve que je cherche à rejoindre consciemment lui en revanche
ce rêve où je devais être d'à peine sept ans huit ans et pourtant j'ai fait ce rêve
comment aurait-on pu avoir un si grand savoir, un si grand savoir de la douleur . de l'immobilité,
si ce savoir n'était l'image de laquelle notre chair même est faite et nos os et nos sangs
notre coeur dans sa grosse chair rouge rien d'autre que cette immobilité qu'il tend à rejoindre

La grande immobilité à laquelle je donne si souvent des figures amoureuses
- sans que ces savoirs extérieurs qui me rongent ne parviennent nullement à ruiner l'image -

La grande immobilité qui n'est ni retour au foetus ni l'horizontalité après la plongée dans la mort

Non ce n'est rien de cela dont je vous parle

Je ne pourrais de toute façon vous parler que des figures de l'immobilité 
et ces figures ne vous diraient rien

Moi seule je sais je sens que je cours à cette immobilité |

Et pourtant, dans ces éclairs de l'immobilité qui parfois surgissent dans mes "rêves", les figures apparaissent toujours sous forme de dualités

Dans cette grande immobilité c'est mon front contre ton front et les larmes qui empoignent nos deux coeurs comme dans un seul poing
il y a dans mon immobilité des larmes mon front contre ton front une douleur-

Si je cours contre moi-même en intrigues douteuses tel l'amoureux égaré de barthes 
sans doute est-ce que je tente d'arracher au mouvement cet autre sans lequel rien n'est possible - et sans lequel, sans doute, l'immobilité n'est pas.



*Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes
** L'Ecriture du Désastre, Maurice Blanchot

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